Marchés de Noël en Allemagne : magie, commerce et périodes sombres

On peut reprocher beaucoup de choses aux marchés de Noël, qu’ils sont chers, kitsch ou bondé, mais un aspect demeure : l’atmosphère féerique, le sapin illuminé, les chalets d’artisanat plein de lumière, les cœurs en pain d’épice et les odeurs de vin chaud … En réalité, les marchés de Noël, les Weihnachtsmärkte ont accompagné l’évolution de la société allemande. Comment ? Nous allons le voir…

Weihnachtsmarkt Bonn – Photo EC

Peu d’institutions allemandes sont aussi anciennes et peu ont connu un tel succès : de l’Allemagne aux États-Unis, en passant par la France ou le Japon, les Weihnachtsmärkte, les marchés de Noël, ont essaimé un peu partout. Tout commence pourtant il y a plus de six cents ans ! Le marché de Noël Wenzelsmarkt de Bautzen à l’est de l’Allemagne est considéré comme le premier du genre. Il date de 1384. D’autres ont suivi, comme le plus célèbre, le marché de Noël de Dresde, le Striezelmarkt qui remonte à 1434, ou un peu plus tard le Christkindlsmarkt, le marché de Nuremberg dédié à l’Enfant Jésus. Mais ces marchés du Moyen Âge n’avaient rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Ils permettaient surtout aux habitants des villes, juste avant l’arrivée de l’hiver et de Noël, de se ravitailler en viande notamment – pour ceux qui en avaient les moyens. On y trouvait aussi de nombreux artisans, des savetiers par exemple ou des vanniers qui tressaient paniers, voire coffres ou corbeilles que l’on retrouve encore aujourd’hui. Souvent, ces marchés ne duraient qu’une journée.

Féérie, lumieres et odeurs

Aujourd’hui, les marchés de Noël ruissellent de lumière, ils transportent dans un monde de conte de fées qui défie la nuit et permet à la ville de rayonner. On y retrouve amis, collègues ou famille autour d’un verre de vin chaud, on déambule entre les chalets divers qui appâtent avec bijoux, instruments de cuisine, écharpes et châles, etc. Et chacun dans l’odeur plus ou moins entêtante de la friture, des amandes grillées, du vin chaud et de la douce cannelle, est prêt à ouvrir les cordons de sa bourse. En fait c’est l’Allemagne du 17e et du 18e siècle qui a amené cette gaieté, voire frivolité à ces marchés. L’atroce guerre de Trente Ans terminée, la dernière « sorcière » brûlée, une jeune fille de 15 ans, en 1756 en Bavière, les villes allemandes se transforment. Les marchés deviennent plus conviviaux, on y mange et on y boit, l’aspect purement religieux de la fête de Noël diminue même si les premières crèches venues d’Italie y font leur apparition. Mais dans la région des monts Métallifères (Erzgebirge), aujourd’hui aux confins de l’Allemagne et de la Tchéquie, le cœur n’est pas au plaisir : l’exploitation des mines d’argent ou d’étain ravagées par la guerre est à l’arrêt. Les familles se sont reconverties dans l’industrie du jouet et la menuiserie. Les conditions sont très dures. Peu de lumière, mal rétribuées, les enfants mis à contribution, ces petits ateliers familiaux écoulent leurs produits par le biais de négociants voyageurs qui les vendent sur les marchés. Cette condition misérable a inspiré un romancier Ralph Günther qui a récemment publié un roman Das Weihnachstmarktwunder (Le miracle du marché de Noël -traduction personnelle) (Ed. Rowohlt). Il situe l’action de son ouvrage au début du 19e siècle : le héros, Martin, est un adolescent de 15 ans. Toute l’année, dans l’atelier familial, il a fabriqué des jouets destinés à être vendus au marché de Noël de Dresde. C’est la seule ressource familiale. Mais voilà que cette année le négociant ne passe pas, et le père tombe malade. Il ne reste plus alors au jeune homme qu’à entreprendre seul le long voyage en traineau vers l’inconnu, le grand marché de Dresde où il doit se faire une place. Une belle histoire kitsch, qui tombe à point pour Noël, mais résume assez bien la réalité sociale de l’époque. Avec une industrialisation progressive qui va d’ailleurs faire basculer dans la misère une grande partie de ces petits ateliers. De nos jours il existe encore quelques-uns de ces fabricants artisanaux qui transforment le bois en figurines très fines, des animaux, des personnages de crèche, des pyramides et bien d’autres motifs et qui enchantent notamment les touristes japonais.

Le marché de Noël à Berlin, reflet de l’histoire

À Berlin, cohabitent depuis le 16e siècle plusieurs marchés. Mais celui de la Breite Strasse est le plus connu sans avoir la réputation des marchés plus anciens comme Dresde ou Nuremberg. Le roi de Prusse Frédéric II ne dédaignait pas d’ailleurs d’y faire des emplettes. Un peu plus tard le poète et romancier romantique Ludwig Tieck dans une nouvelle écrite en 1835 en fait une description éblouie. Il situe la visite en 1791 : « Le plus brillant sont les heures du soir, durant lesquelles les larges rues sont illuminées par des milliers de lumières provenant des chalets des deux côtés, qui répandent presque une clarté du jour qui semble seulement s’obscurcir çà et là par la foule. Des visiteurs de toutes classes se mélangent joyeusement et en bavardant bruyamment. » (Traduction personnelle) Cette vision féérique du poète ne semble pas être du goût de tout le monde. Car ce marché bouche la circulation et les commerçants de la rue, notamment les nouvelles grandes enseignes voient leur chiffre d’affaires menacé par le marché de Noël. Le marché est donc déplacé dans le Lustgarten en 1873. Certaines voix sont même allées jusqu’à demander qu’on le supprime complètement. Ils y voyaient comme le cite la spécialiste Jutta Schneider dans son chapitre: Weihnachtsmarckt in der Breiten Strasse (Ed. Luisenstadt, 1999) « Une installation digne d’un bazar (Krämereieinrichtung), totalement vieillie qui ne représentait absolument plus la situation et la respectabilité de la capitale du Reich. » En réalité, la prolétarisation grandissante de la population commence à se remarquer dans les marchés et à inquiéter la bourgeoisie. Dans ces marchés de Noël, rappelle un article de geo.de „Invalides de guerre, enfants des rues et chômeurs se pressent autour des visiteurs pour mendier », sans compter les voleurs à la tire bien sûr. Pour autant, malgré les demandes pressantes des autorités de police, le marché ne sera pas supprimé, mais une nouvelle fois déplacé pour cause de construction de la cathédrale dans un quartier à l’époque populaire et périphérique, la rue Arkona. C’est là qu’il se tiendra jusqu’en 1934 comme le précise la spécialiste Jutta Schneider. À Nuremberg, c’est peu ou prou la même chose, ces marchés gênent les commerçants en place et ils sont déménagés vers la périphérie.

La période sombre : le nazisme

Retour vers le centre-ville avec l’arrivée de Hitler au pouvoir en 1933. Les nazis veulent effacer le christianisme en imposant une idéologie pseudo « germanique » païenne. Le sacré est systématiquement évacué. Les Weihnachtsmärkte, les marchés de Noël deviennent des « marchés d’hiver ». À la place des symboles chrétiens apparaissent des runes et des croix gammées. Les calendriers de l’avent sont baptisés Julbogen (Jul est une fête du solstice nordique) les sapins de Noël jusque-là peu décorés sont illuminés et propulsés au rang de symbole patriotique, les marchés de Noël, à Berlin ou à Nuremberg, ramenés au centre des villes : les nazis y vendent leurs produits, par exemple des bijoux en forme de croix gammées, pour récolter de l’argent. Le 6 décembre 1934, c’est Goebbels en personne qui inaugure le marché de Noël de Berlin ramené au Lustgarten. Quant à Nuremberg, les nazis y mettent en scène un « Christkind » – un personnage inventé par Luther pour répliquer au Saint-Nicolas des catholiques – représenté par une très jeune fille blonde aux yeux bleus. En réalité, derrière cette bataille idéologique, constate l’historien Joe Perry dans son livre Christmas in Germany :a cultural history (2010) les nazis poursuivaient des objectifs économiques : il s’agissait en pleine Grande Dépression de soutenir l’économie allemande en ne vendant que des produits proprement allemands. Ce qui a évidemment un certain succès : 1,5 million de visiteurs pour le marché de Berlin en 1934. Et deux millions, deux années plus tard. Alors peut-on dire que les Weihnachstmärkte ont été remis au goût du jour par les nazis ? Eh bien, non. Ils ont été instrumentalisés, comme toute la vie culturelle et économique allemande, mais cette période a duré peu de temps : une dizaine d’années tout au plus. Avec l’arrivée de la guerre, la plupart des villes ferment leur marché en 1941-42. Ils ont d’ailleurs complètement disparu de la mémoire collective allemande. La renaissance du Weihnachtsmarkt se fera trente ans plus tard.

Le miracle économique et les marchés de Noël

Quel soulagement ! Cela me permet de faire, la conscience tranquille, un tour de dégustation au marché de Noël voisin. Il faut d’ailleurs préciser que le terme de « Weihnachtsmarkt » n’était pas employé en Rhénanie. À Cologne, comme à Bonn, ces marchés sont « récents ». À Bonn le marché date du milieu du 19e siècle, peut-être de 1826 ,mais on ne sait pas très bien, il s’appelle á cette époque en tout cas marché de Nicolas (Nikolausmarkt) et consiste seulement en quelques baraques qui offrent jouets et sucreries pour les enfants. En 1949, juste après la guerre, un simple manège pour enfants est installé. Mais ce n’est finalement qu’à partir de 1972 que se déroule le premier Weihnachtsmarkt, un marché tel que nous le connaissons. Il en va de même pour Cologne et son marché très impressionnant au pied de l’immense cathédrale, né en 1977. Autant dire que le passé nazi ne joue aucun rôle. C’est le Wirtschaftswunder, le miracle économique qui a remis au goût du jour ces marchés en leur donnant une splendeur et une gaieté qu’ils n’avaient jamais connue auparavant. Les produits de première nécessité étant vendus meilleur marché dans les grands magasins triomphant de l’époque, les marchés de Noël deviennent des évènements populaires qui proposent de l’artisanat d’art, des produits décoratifs ou traditionnels. Sans oublier l’aspect dégustation…

Les coeurs en pain d’épice- Photo EC

À manger, découvrir et boire 

Alors que peut-on y trouver ? Un petit tour dans l’ancienne capitale Bonn et son marché encadré par le Münster – la cathédrale-, des ruelles piétonnières et la statue de Beethoven qui trône au centre de la place, invisible dans les flots de lumière. Le journal local General Anzeiger a mis en avant les spécialités étrangères : les Pofferties hollandais, sorte de petits choux franchement délicieux, avec beaucoup de beurre et pourtant légers. Au stand voisin, des Français venus d’Alsace : des Flammkuchen fraîches, garnies de toutes sortes d’ingrédients, ou même végétariennes avec Feta et Mozzarella. C’est d’ailleurs le plat à la mode cette année. Puis vient la sensation du marché, une tradition scandinave : le Flammlachs, du saumon à la flamme, flambé sur quelque 28 braseros…du poisson que l’on mange dans un Brötchen (petit pain allemand). Mais on ne peut oublier les incontournables allemands : en Rhénanie galettes de pomme de terre servie avec de la compote de pommes ou la curry wurst plutôt berlinoise. Le tout accompagné de vin chaud ou même d’un lait de poule alcoolisé, spécialité de Bonn …

Un business qui s’exporte bien

Avec le temps, ces marchés de Noël, les Weihnachtsmäkte, sont devenus de vraies attractions touristiques. À Cologne, quelques quatre à cinq millions de visiteurs se pressent chaque année pour flâner entre les chalets du marché au pied de l’imposante cathédrale… C’est le plus fréquenté d’Allemagne. Dresde, le plus ancien, à l’est, attire environ deux millions de visiteurs. Rien que pour l’année 2024, ils ont généré au total un chiffre d’affaires considérable, un peu plus de 4 milliards d’euros. Parmi les touristes, les plus friands sont les Américains qui peuvent booker des packages « Weihnachtsmärkte Germany », mais on trouve aussi des Anglais, des Français et des Hollandais. Et bien sûr les Allemands eux-mêmes. Les marchés de Noël ont dû affronter de nouvelles crises, fermeture durant les années Covid et attentats terroristes à Berlin et à Magdebourg. Les mesures de sécurité ont été renforcées, les accès pour les voitures ou camions barrés. Des patrouilles en civils parcourent les marchés. Mais le succès populaire ne se dément pas. Et peut-être certains penseront à acheter un petit personnage en bois, une pyramide ou un âne de la crèche fait à la main dans la région des monts Mellifères, l’Erzgebirge et non pas en Chine. Le souvenir d’une tradition qui nous ramène des siècles en arrière. L’âge de ces vénérables marchés!

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Notices d’Allemagne vous souhaite un Noël chaleureux Et, s’il vous manque encore un cadeau, voici quelques idées en soutien à ce blog gratuit:

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Ce roman évoque la saga d’une famille franco-allemande les Beck, et notamment le héros Dominik, qui quittent la Lorraine en 1789 et repartent dans leur village allemand d’origine. La révolution est sur leurs talons, les troupes déguenillées des Sans-Culottes, puis celles de Napoléon occupent leur village en Hesse rhénane. Sauront-ils survivre aux tribulations des guerres révolutionnaires, peut-être même tirer quelque profit de cette présence française ? Et quel sera l’horizon des nouvelles générations ? L’émigration est le thème de ce roman, qui, je l’espère saura vous captiver…

JOYEUX NOEL de la part de NOTICES D’ALLEMAGNE !