Grève en Allemagne : l’art du compromis

Que la France soit en grève, cela n’étonne plus personne. Par contre, lorsqu’il s’agit de l’Allemagne, cela surprend. Et pourtant c’est bien ce qui s’est passé au mois de mars dernier, avec des crèches fermées et des trains complètement à l’arrêt. Et la menace plane encore. Le secteur public allemand est en effet en colère car il ressent violemment la perte de pouvoir d’achat…

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Plus rien ne circule: le panneau des bus reste desespérement noirEC

Le 27 mars dernier l’Allemagne s’est réveillée avec une « grève massive » (mega-Streik) :  trains, vols, bus à l’arrêt durant 24 heures. Quand les syndicats allemands déclarent la grève, c’est sérieux, plus rien ne bouge.  La dureté du conflit a surpris, l’alliance assez rare entre deux syndicats Verdi (syndicat des services) et EVG (syndicat des transports) aussi. Avec une inflation de quelques 7.4% (chiffre de mars dernier) et une augmentation de 20% sur les produits alimentaires, la négociation des salaires pour les quelques 2,5 millions d’employés en Allemagne est cruciale.

Des fronts opposés

Pour faire pression sur les négociations en cours, plusieurs « grèves d’avertissement » (Warnstreiks) avaientdéjà eu lieu, notamment dans les crèches le 8 mars, la journée des femmes, ce qui avait obligé les parents à recourir au télé-travail ! Et en particulier… les femmes ! Pour beaucoup d’Allemands ce mouvement était intempestif et exagéré. Et pourtant la troisième séance de négociation s’est elle aussi conclue par un échec. 

Pour compenser la perte du pouvoir d’achat due à l’inflation, le puissant syndicat Verdi et la fédération des fonctionnaires (dbb) avaient réclamé 10,5% d’augmentation de salaire avec un minimum de 500€ par mois qui bénéficierait notamment aux bas salaires. Beaucoup trop pour Les employeurs, l’état fédéral en particulier. Après la pandémie et les difficultés liées à la guerre en Ukraine, le rigoureux ministre des finances Christian Lindner a en effet rappelé à tout le monde qu’il fallait revenir à une gestion saine du budget.  Les employeurs du public ont donc mis sur la table une autre proposition : 8% seulement d’augmentation de salaire et un seuil minimum de 300€ par mois, à quoi s’ajouterait un versement unique de 3000 €.

« C’est une très bonne proposition, éclate très en colère une employée hors secteur public, qui donne des cours dans une université populaire. Moi je ne touche pas un cent de plus. Et leurs salaires sont beaucoup plus élevés…Ce sont des privilégiés. »

Ce n’est pas l’avis des syndicats, car dans la fonction publique il y a aussi nombre de petits salaires. La proposition des employeurs a donc été refusée, jugée insuffisante.

Un garde-fou puissant

Mais spécificité allemande, au lieu d’aller tout de suite au conflit, un garde-fou est prévu :  la mise en place d’une commission de médiation (Schlichtungsverfahren). Composée dans le cas présent de 24 membres, une grosse commission donc, avec à sa tête deux personnalités reconnues, l’une pour les employeurs, l’autre pour les syndicats, elle doit délibérer selon des règles bien précises : huis-clos, un lieu tenu secret et, durant le temps de la discussion, interdiction aux syndicats de manifester. C’est l’obligation de paix (Friedenspflicht). On le voit, tout est fait pour que dans un temps et un espace apaisé, un compromis puisse être trouvé.  

Une fois que la concertation arrive à son terme, une proposition est mise sur la table. En l’occurrence le compromis proposé prévoit une compensation unique non imposable de 3000€, et à partir de mars 2024 une augmentation de salaire de 5,5%.

Retour à la table des négociations

Dans les relations sociales bien réglées de l’Allemagne, c’est alors la troisième phase qui s’ouvre  : syndicats et employeurs se retrouvent à la table des négociations pour discuter de la proposition de compromis. Cette nouvelle phase est prévue pour la fonction publique d’ici la fin de la semaine et certains commentateurs estime que les partenaires sociaux seraient bien inspirés d’accepter ce compromis.

Néanmoins si les syndicats veulent renforcer la pression, seules des grèves d’avertissements (Warnstreiks) de courte durée sont autorisées. Ce n’est qu’après le vote des membres des syndicats (Urabstimmung) sur la proposition finale, que le droit de grève retrouve son application complète.

Situation tendue

Du côté des transports la situation semble plus tendue que dans la fonction publique. L’Allemagne va connaître une nouvelle journée de grève lancée par les syndicats Verdi et EVG (des transports) qui affectera trains, bus et différents aéroports. Si la Deutsche Bahn se dit prête à négocier en s’appuyant sur le compromis de la fonction publique proposé par la commission de médiation, la situation semble plus compliquée en ce qui concerne les personnels au sol et surtout les contrôleurs du ciel dans les aéroports. Ce qui exaspère la fédération économique allemande du transport aérien (BDL) qui « prépare activement le trafic aérien de l’été » et conteste même l’appellation de « grève d’avertissement », car il s’agit de grèves tournantes qui paralysent différents aéroports à chaque fois. Mais pour tous les voyageurs qui se sont trouvés l’année dernière face à des situations catastrophiques aux guichets d’enregistrement et aux portiques de sécurité, un accord qui permettrait d’attirer du personnel supplémentaire serait sans doute un gain. Ce ne serait plus la paix de la médiation mais celle du voyage !

Grève massive

On le voit tout est fait en Allemagne pour éviter une confrontation et un blocage paralysant à la française, mais rien n’est exclu. Les journaux allemands rappellent que la dernière grève massive a eu lieu il y a 31 ans : bus et trains à l’arrêt, courrier pas distribué, poubelles pas vidées, pendant douze jours en 1992 les Allemands ont vécu une situation qui a mis le pays au bord de la crise de nerf. L’inflation qui sévissait à l’époque, rappelle notre confrère der Westen, était de 4,6%. Pour garantir le pouvoir d’achat, les syndicats réclamaient 9,5%. Mais les caisses de l’état qui gérait encore l’intégration de l’ex RDA, étaient assez vides. Au bout de douze jours de grève, l’augmentation des salaires accordée a atteint 5,4%. Cet épisode dur rappelle à certains commentateurs la situation actuelle. Les garde-fous ne peuvent pas tout.

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Mise à jour le 23.04.2023 :

sur la base du compromis proposé par la commission de médiation, syndicats et employeurs ont trouvé un accord : 5,5% d’augmentation de salaire, plus une compensation nette pour l’inflation de 3000€ . Dès juin prochain les salariés recevront 1240€ . Et de juillet à février 2024, ce seront 220€ par mois. A partir de mars 2024, les employés recevront chaque mois un indemnité de base de 200€ brut et 5,5% . Cela signifie pour une employé du secteur du nettoyage 360 de plus, soit 13,3% d’après la ministre de l’intérieur Nancy Faeser (SPD social-démocrate). Un infirmier, d’après le président du syndicat Verdi verra donc sur sa feuille de paye 450€ en plus, un éboueur(e) 357€.

La culture du compromis a donc une fois encore fonctionné et évité le stress de la grève. L’expérience traumatisante pour les syndicats de qui après 12 jours de grève en 1992 n’avaient obtenu qu’une augmentation faible, loin des revendications de départ et avait par contre provoqué une hémorragie dans les rangs des adhérents a sans doute poussé á la modération. Le vote final de la base syndicale semble acquis.

2 réflexions au sujet de « Grève en Allemagne : l’art du compromis »

  1. Alors, mois je pense que 5,5% en plus sont assez. Les Allemands voyagent encore beaucoup, ils achètent beaucoup sur internet et comme j´entends chez mes collegues jeunes, ils ont assez d´argent d´aller tout les mois chez le coiffeur et dans le studio kosmetique. En plus, ils ont tous un téléphone mobile. Le probleme est qu´ils dépensent beaucoup d´argent, pas qu´ils n´ont pas assez d´argent.
    En plus, demander 650 Euro en plus, ca veut dire, que dans quelque temps, d´autres personnes perdront leur place de travail….

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