Des chars pour l’Ukraine : le malaise

La génération allemande de l’après-guerre avait une obsession : s’assurer que jamais plus les armes ne parleraient depuis ou sur le territoire allemand. Et voilà que le chancelier allemand Olaf Scholz a dû prendre la décision d’envoyer des chars de fabrication allemande en Ukraine pour affronter des chars russes. L’histoire dit-on ne se répète pas, elle bégaye.

Un char, image Pixabay.com/ichigo121212

Lorsque, jeune journaliste française, j’arrive en Allemagne, je découvre une jeunesse en pleine effervescence. En octobre 1983 une manifestation énorme se déroule sur la pelouse du Hofgarten à Bonn contre la « militarisation », c’est-à-dire le stationnement des missiles Pershings II et des cruise missiles nucléaires américains, en réponse au missiles soviétiques SS20 pointés sur l’Europe  – et en particulier l’Allemagne. Parmi les centaines de milliers de manifestants que je vois, je distingue des soldats de la Bundeswehr. Quant aux policiers, les manifestantes leur mettent des fleurs à la boutonnière ! A cette occasion l’ancien chancelier social-démocrate (spd) Willy Brandt lance une phrase qui résume bien le sentiment des manifestants : « Nous n’avons pas besoin de davantage d’armes de destruction massive en Allemagne, mais au contraire de moins ». (1) C’est une des grandes manifestations du « Friedensbewegung », le mouvement pour la paix, qui mobilise en même temps dans d’autres pays d’Europe. Les Français n’y participent pas. Ils ne se sentent pas concernés et ne comprennent pas cet élan. Le président Giscard d’Estaing a expliqué que la France était à l’abri des convulsions, grâce à la bombe atomique. Néanmoins, sous la menace des missiles américains, les Russes se décident à négocier. Cela aboutira à la destruction des missiles nucléaires de moyenne portée sur le sol européen.

L’histoire bégaye

Une génération plus tard, ironie de l’histoire, c’est le chancelier social-démocrate (spd) Olaf Scholz qui doit donner son accord à la livraison des fameux chars Léopards, des armes made in Germany, considérés comme le haut-de-gamme dans ce domaine et d’ailleurs exportées dans toute l’Europe. Ils devront affronter les tanks russes. On comprend que la prise de décision n’ait pas été facile ! Elle a en tous cas divisé le pays et les familles. « Char ou pas char » pour l’Ukraine ? On se serait cru dans un drame shakespearien, sauf qu’il est délicat de comparer Hamlet le romantique et Scholz le mutique, ou la cour d’Angleterre et la République fédérale. Chacun des camp avait de bons arguments. Mais la valse-hésitation, la lenteur que l’on a souvent mise en avant comme exemple de démocratie,  a fini par lasser tout le monde : des journalistes exaspérés par le manque de communication, des partenaires comme la Pologne qui finalement en ont fait un argument de campagne jusqu’au très germanophile historien britannique Timothy Garton Ash qui s’est amusé à créer un nouveau mot : le sholzing : c’est-à-dire avoir de bonnes intentions pour ensuite imaginer tous les arguments pour retarder leur application ou même les empêcher de se réaliser.

Des chars léopard pour l’Ukraine

Le 25 janvier dernier, la décision est enfin tombée. On envoie les Léos. Une consœur britannique, Tanit Koch, faisait d’ailleurs remarquer avec humour que l’armée allemande ressemblait un peu à un zoo : on y trouve des léopards, donc, mais aussi des martres (Marder, chars de reconnaissance) ou des Pumas (hélicoptères) … Une manière, sans doute, de rendre ces engins plus sympathiques. Sauf que ces derniers jours la télévision et les réseaux sociaux nous ont montré en boucle les performances des léos, et franchement, on n’a guère envie de s’y frotter. Le seul aspect un peu réconfortant, c’est que les pauvres diables de soldats ukrainiens qui les conduiront, semblent dire qu’ils y seront mieux protégés que dans leurs vieux chars soviétiques.

Au bout de cette épuisante attente, comment réagissent les citoyens allemands ? Une majorité (54%, sondage ZDF/Politbarometer) soutient la décision du chancelier d’envoyer les Léos à l’Ukraine et d’autoriser les partenaires à en faire de même. Mais une fois pesé le pour et le contre, 48% pensent que cela pourrait faire augmenter le risque d’une attaque de Poutine sur l’Europe et 48% pensent que cela ne sera pas le cas. Devant cette ambiguité, il n’est pas évident que dans le futur, l’envoi potentiel d’autres armes soit approuvé par une majorité.

Et en conclusion de cette séquence, c’est un sentiment de malaise et d’insécurité qui reste : Olaf Scholz a clairement montré que pour lui, il n’y a pas d’alternative au parapluie nucléaire américain. Sans l’accord de Joe Biden à envoyer quelques chars Abraham à l’Ukraine, le chancelier aurait sans doute encore longtemps tergiversé, voire carrément refusé. C’est donc toujours le poids de l’Amérique qui pour les Russes et les Allemands est au cœur du jeu européen. La France est inaudible. « Les hésitations des Français » titre d’ailleurs le quotidien économique Handelsblatt du 26 janvier. La défense européenne ? Pour y parvenir un mot revient en boucle : le Führungsrolle (leadership) de l’Allemagne, que de nombreux médias et – paraît-il, de nombreux partenaires européens – ne cessent de réclamer. Le Président Biden a d’ailleurs longuement remercié Berlin pour son soutien à l’Ukraine et a, lui aussi, réclamé le « leadership » du chancelier. Macron appréciera. Il a de la chance : le chancelier Scholz, dans la tradition d’Angela Merkel, ne semble pas vouloir jouer les premiers violons mais plutôt le rassembleur.

(1) citation extaite de Spiegel online

2 réflexions au sujet de « Des chars pour l’Ukraine : le malaise »

  1. Mais Macron hésite encore d´envoyer les chars Leclerc…. Et maintenat l’Ukraine demande d´envoyer des avions tactiques. Où est-ce que ça finit?
    De ce point de vu Madame Baerbock a raison : Nous sommes dans la guerre avec la Russie – certes Putin a commencé, mais est-ce ça ce que nous voulions?

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    • Précision : Annalena Baerbock est la ministre des affaires étrangères allemandes. Elle a déclaré il y a quelques jours, dans un débat au Parlement européen que l’Allemagne « menait une guerre contre la Russie ». Une déclaration très controversée. Le chancelier Scholz l’a rapidement recadrée en affirmant que l’Allemagne ne faisait pas de guerre à la Russie.

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