Des livres pour Noel, une valeur sûre

Sous le sapin, en Allemagne, les livres ont toujours la cote. C’est pourquoi, à peine terminée la grande Foire du Livre de Francfort, les journaux se remettent au travail en publiant les listes de leurs ouvrages préférés. Le Spiegel a même créé cette année un prix littéraire, attribué à Rashel Kushner. À Notices d’Allemagne, je vous propose mon choix, des livres qui m’ont touchée ou fascinée.

La librairie francaise Zadig à Berlin avec mon roman Puisqu’il faut partir

L‘histoire, c’est un peu ma passion, donc ne vous étonnez pas, dans cette rubrique vous retrouverez mes coups de cœur pour des livres qui illustrent cette thématique.  Voici donc pour commencer – chronologie oblige – mon roman, basé sur le thème de l’émigration allemande, un moment clé de l’histoire de ce pays.

Puisqu’il faut partir, Elisabeth Cadot

Ce roman évoque en effet la saga d’une famille franco-allemande, les Beck, et notamment le héros Dominik, qui doit quitter la Lorraine en 1789, se sentant menacés par les évènements révolutionnaires. Ils repartent dans leur village allemand d’origine, mais les troupes déguenillées des sans-culottes, puis celles de Napoléon occupent leur village en Hesse rhénane. Sauront-ils survivre aux tribulations des guerres révolutionnaires, peut-être même finalement tirer profit de cette présence française ? « Serait-ce le coup de pouce de la Providence ce Bonaparte? Dominik a besoin de mettre de l’ordre dans ses idées. Il n’est pas le seul. En fait la nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre. Les biens séquestrés vont être mis à la vente! Le village semble être saisi par la fièvre » Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les générations suivantes voient plus grand, elles rêvent de nouvelles terres, de l’Amérique.  Ce roman est basé sur quelques documents familiaux authentiques et des recherches historiques. Il montre les sentiments ambigus qui accompagnent ces départs définitifs, cet arrachement dont certains ne se remettront pas. L’émigration est au cœur de ce roman, elle a touché en Allemagne des millions de personnes.

Puisqu’il faut partir, Elisabeth Cadot. Ed. Complicités. 19€

Le roman est disponible en Allemagne, au cœur de Berlin, dans l’excellente librairie française Zadig. Elle est remarquablement achalandée. Merci à eux de le mettre en avant.

En France vous le trouvez dans toutes les librairies, à la FNAC et sur Amazon.

Pour aller plus loin :

Un documentaire en trois épisodes de Arte revient sur ce sujet sous le titre : Emigrés européens, des récits oubliés – Histoire.

Marseille 1940 : quand la littérature s’évade, Uwe Wittstock

À Notices d’Allemagne, nous vous parlions déjà de cet ouvrage en avril 2024. Sous le titre : Marseille 1940, la Gestapo sur les talons nous évoquions cet ouvrage longtemps classé en Allemagne parmi les best-sellers. L’auteur Uwe Wittstock fait un panorama haletant de la fuite d’artistes, écrivains, peintres allemands, comme le surréaliste Max Ernst, les écrivains Walter Benjamin, Hannah Seghers, Heinrich Mann et tant d’autres, menacés par la Gestapo. Ils cherchent d’abord refuge en France, mais le paradis va se refermer sur eux comme un piège lorsque le régime de Pétain décide de collaborer avec les Allemands en juin 40. Wittstock alterne les descriptions de la vie ou plutôt de la survie des artistes réfugiés avec des paragraphes de contexte historique. Il montre par exemple sans insister l’indigente et stupéfiante faiblesse de l’armée française face aux troupes de la Wehrmacht.  Et il met également en scène l’emprise de la collaboration dans les rouages de la société française.

Une fuite éperdue à travers la France

Pour tous ces artistes en tout cas, c’est le sauve- qui- peut, d’abord en zone libre, puis les tentatives de fuite hors de France. Marseille devient alors  le point de chute de ces victimes pourchassées par la Gestapo. C’est là, qu’un jeune journaliste américain Varian Fry va leur tendre la main avec l’appui du Centre américain de secours. Cela fait longtemps que lui, a compris le danger et la violence du régime de Hitler et qu’il a essayé d’ouvrir les yeux de ses compatriotes américains. « Quand Hanfstaengl (porte parole de Hitler) parle de bain de sang, il s’agit d’assassinat, un assassinat de masse perpétré contre les Juifs. Combien de centaines de milliers de Juifs y a-t-il en Allemagne ? La fraction radicale des nazis veut-elle effectivement les tuer ? » se demandait-il déjà lors de son premier reportage. Désormais il se démène pour essayer de procurer aux réfugiés des papiers et des visas pour le Portugal ou l’Espagne d’où ils espèrent prendre un bateau vers les États-Unis. Mais la Gestapo, épaulée en partie par la police française, resserre l’étau sur Fry, les Américains de leur côté freinent. Tous les réfugiés ne seront pas sauvés. Mais Varian Fry a néanmoins permis à des centaines de personnes d’échapper à la fureur nazie – grâce d’ailleurs aussi aux coups de main de la résistance et parfois de la population française. Pourtant il est tombé dans l’oubli jusqu’à ce qu’un professeur, Jean-Michel Guiraud, de l’université de Marseille ne remette son nom en lumière.

 « Cet ouvrage devrait être traduit » pouvait-on lire en conclusion de mon article sur le livre de Uwe Wittstock. C’est désormais chose faite grâce au travail assez rapide du traducteur Olivier Mannoni, puisque ce livre est paru début février 2025 dans sa version française. N’hésitez pas, c’est fascinant, et comme il s’agit d’une sorte de caléidoscope de destins différents, vous n’êtes pas obligé(e) de lire le roman d’une seule traite.

Quand la littérature s’évade, Uwe Wittstock, traduction Olivier Mannoni. Ed. Grasset 28€

Une association Varian Fry a été fondée à Marseille en 1999, par Jean-Michel Guiraud, Professeur agrégé d’histoire et qui avait écrit une thèse sur « Marseille à l’époque de Vichy et sous l’occupation 1940/1944 ». Une rue au coeur de Berlin porte désormais le nom de Varian Fry

La bibliothèque retrouvée, Vanessa de Senarclens.

Tout le monde n’a pas le privilège d’entrer en contact avec la société allemande en épousant l’un des descendants d’une prestigieuse famille : les Bismarck-Osten. Il faut préciser que l’autrice, Vanessa de Senarclens descend elle-même d’une très ancienne famille de Suisse genevoise. Mais tout cela n’aurait pas d’intérêt – autre peut-être que dans une rubrique mondaine -, s’il ne s’agissait pas comme l’indique le titre de cet ouvrage de quelque chose de beaucoup plus important : une bibliothèque. Et mieux encore, une bibliothèque retrouvée. Le scénario de ce livre qui n’est pas un roman, mais « une enquête » comme l’indique la couverture, nous emmène loin, en Poméranie orientale, une région autrefois allemande, aujourd’hui polonaise et dans un château – celui justement des Bismarck-Osten – malmené par les soubresauts de l’histoire. On peut lire par exemple en ouvrant le chapitre neuf : « Atteinte d’une affreuse fièvre nerveuse, la reine Louise de Prusse fait escale au château de Plathe en 1806, en route vers Dantzig. Elle fuit l’avancée des troupes napoléoniennes. »

La débacle allemande devant l’Armée rouge

Cent quarante ans plus tard, la scène se répétera dans le sens inverse : ce n’est plus la reine de Prusse, mais la famille Bismarck, propriétaire du château de Plathe qui fuit en catastrophe l’arrivée de l’Armée Rouge. Avec un personnage impressionnant, le comte von Bismarck-Osten, le beau-père de l’autrice. C’est dans la petite maison de Bad-Godesberg, une banlieue chic de Bonn, qu’il lui montre quelques livres anciens comme le Blumenbuch, le livre des fleurs de Sibylla Meria Merian de 1675, ou un psautier luthérien imprimé à Nuremberg en 1563, des objets de grande valeur qu’il détient et qui proviennent de la splendide bibliothèque de son château disparue corps et bien dans la tempête de la Seconde Guerre mondiale. Une bibliothèque de quelques 13000 livres, fondée au XVIII -ème siècle par un lointain ancêtre de Ferdinand. Avec le devoir pour ses descendants, noté par écrit, de la soigner et de la compléter. C’est la perte de ce trésor, la disparition de la bibliothéque plus que celle de son château, de son rang et de sa vie d’avant qui désole le vieil homme. « ...en 1976, Ferdinand, alors retraité, avait pris le temps de réfléchir à ce qui lui était arrivé, à lui, l’héritier qui avait manqué à l’appel des générations. Avait-il failli? » Alors l’autrice Vanessa de Senarclens, qui est aussi professeur de littérature française à l’université Humboldt de Berlin, entreprend de retrouver les traces de cette prestigieuse bibliothèque. « Si le deuil de ma belle-famille n’est pas le mien, cette transmission qui ne se fait pas me navre. C’est donc une enquête que je mène.« 

Les livres ne disparaissent pas

Au-delà de cette quête historique minutieuse – parfois même fastidieuse – qui évoque des difficultés que j’ai connues pour écrire mon propre roman, ce livre parle de mémoire. Celle de réfugiés, d’émigrés qui ont tout perdu. Dans le cas présent, il y a en outre les interrogations douloureuses du vieux comte sur le rôle que n’a pas su jouer sa caste aristocratique contre le nazisme. Des questions sans réponses. Vanessa de Senarclens connaît ce monde de la noblesse, mais elle n’hésite pas à pratiquer l’humour sur ce milieu. Elle nous donne à entrevoir la poésie des paysages de Poméranie orientale avant la guerre. Et le charme désuet de cette vie de chateau dominé par sa splendide biliothéque. On traverse avec elle la violence de l’arrivée et du pillage de l’Armée Rouge. Mais sa quête opiniâtre est basée sur une conviction :  les livres ne disparaissent pas sans laisser de trace. J’ajouterai qu’ils sont notre mémoire. Prenez le temps de lire ce livre.

La bibliothèque retrouvée, Vanessa de Senarclens. Ed.Zoe, 20€