Parfois la roue de l‘Histoire accélère de manière disruptive, l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, en est un bon exemple. Mais parfois elle tourne aussi plus classiquement comme dans les actuelles négociations de coalition du futur chancelier Friedrich Merz et son élection par le Bundestag. Quoiqu’il en soit, ce changement à Berlin est de première importance pour l’Europe et en particulier pour les relations franco-allemandes. Pour l’analyser Frédéric Petit, député des Français de l’étranger et notamment d’Allemagne, a accepté de répondre aux questions de Notices d’Allemagne. Nous l’en remercions. Il évoque d’abord l’Ukraine à laquelle il vient de rendre visite. Nous lui avons demandé quel était l’état d’esprit des Ukrainiens qu’il a rencontrés :
Une extrême résilience, voilà l’état d’esprit en Ukraine. Ma visite s’est déroulée une semaine après la prise de fonction du Président Trump. Sur le terrain, les gens étaient très virulents par rapport à lui. Dans les villages, dans les villes, etc. Leur résilience est toujours présente mais les gens font ce qu’ils ont à faire. On ne parle pas assez par exemple du lancement en 2015 d’une réforme considérable. Il s’agit de la décentralisation et de la réorganisation des territoires, avec levée d’impôts locaux, une réforme qui constitue pour moi la garantie que l’Ukraine va vraiment sortir de la corruption un jour. Les Ukrainiens cherchaient à se faire aider pour la mise en place de cette réforme.
Dans mon programme de visite, (je suis resté une semaine sur place), il y avait aussi des communautés communales jumelées ou en passe de l’être avec des villes françaises. J’ai vu des centres de soins sur des communautés de communes, un lycée où les élèves sont conscients que leur société est en résistance Les gens agissent, ils font leur travail, ils sont à leur poste, pas uniquement les soldats mais également toute la société.
Est-ce que les Ukrainiens ou une partie de la société ukrainienne a l’espoir que Trump puisse aider à la paix ?
Bien sûr qu’ils en ont tous un peu marre de la guerre évidemment mais il n’est pas question pour eux de se laisser « dénazifier » ou de laisser détruire leur pays. Donc ils ont très mal pris le fait qu’on considère que c’est eux qui avaient commencé la guerre. Il est hors de question qu’ils cèdent. Par contre évidemment ils ont envie que ça s’arrête, mais sur des bases justes qui correspondent à la reconnaissance du fait qu’ils sont un État indépendant et un peuple libre. L’Etat du Rus’ de Kyiv existait avant Moscou.
Intéressons-nous, si vous le voulez bien, à notre relation franco-allemande. On a l’impression que ces dernières années elle ne fonctionnait pas tellement bien. Et est-ce que, du point de vue de Paris, l’arrivée très probable de Friedrich Merz comme nouveau chancelier allemand, va changer la donne ?
Tout d’abord, je suis toujours prudent quand on dit que la relation franco-allemande ne marche pas, parce que les relations franco-allemandes sont souvent assimilées dans le turmoil des journalistes qui essayent d’aller très vite, où un scoop chasse l’autre, ces relations franco-allemandes sont assimilées à l’exécutif. C’est sûr qu’il y a eu plus fluide qu’entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz ou même qu’entre E. Macron et Angela Merkel mais les relations franco-allemandes elles-mêmes, entre les sociétés civiles, les parlementaires, les élus locaux, les associations, les entreprises, sont très solides et très profondes. Elles se portent bien, elles se développent depuis des lustres.
Une profondeur de relation
En 2017, on a inventé l’Assemblée parlementaire franco-allemande. On a renouvelé le traité de l’Elysée par le traité d’Aix-la-Chapelle. Donc la relation franco-allemande est une relation qui fonctionne bien. Simplement, il ne faut pas la limiter à la relation qu’il y a entre le président de la République et le chancelier. On a par exemple des Länder qui ont des relations directes avec la France et qui marchent très bien aussi. Il y a des clubs d’affaires, il y a aussi des échanges de fonctionnaires. Nous avons en France des fonctionnaires allemands qui viennent travailler pour la France et des fonctionnaires français qui vont travailler pour l’Allemagne, et ça dure depuis 1963. Donc on a une profondeur de relation de nation à nation, qui fait que les aléas des relations entre l’exécutif supérieur sont en fait amortis par tout cela.
Maintenant, je pense effectivement que par sa personnalité Friedrich Merz est quelqu’un de très libre. Il a été capable d’accepter de se retirer complètement de la vie publique, de traverser le désert, de faire autre chose. Je suis membre du Modem. Au Modem aussi on a vécu cette situation. Donc, je pense que Friedrich Merz est quelqu’un qui est très capable de parler des vrais sujets. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’analyse selon laquelle il aurait franchi des lignes rouges ou n’a pas franchi des lignes rouges pendant sa campagne électorale. (1) Je crois que c’est quelqu’un qui parle concrètement et librement.
Sa relation avec l’exécutif français sera, à mon avis, une relation peut-être plus rapide, plus stable, qu’avec M. Scholz, qui était pourtant un grand francophile… Et il faut ajouter un autre aspect : l’entourage de Friedrich Merz, ceux qui vont émerger autour de lui, ce sont des gens, membres de la CDU, généralement de l’ouest, etc., qui ont vraiment le franco-allemand dans l’ADN. Des gens pour qui le franco-allemand ne se questionne pas, alors que les équipes autour de Scholz, c’étaient des équipes un peu nouvelles, qui n’avaient pas forcément autant d’ancienneté, autant de profondeur et autant d’évidence pour le franco-allemand.
Il n’empêche que sur de nombreux thèmes, Français et Allemands n’ont pas été sur la même longueur d’onde, en ce qui concerne par exemple le nucléaire, l’énergie, le Mercosur, l’idée d’envoyer des troupes en Ukraine, et puis le gros morceau de la défense qui évolue bien sûr maintenant...
Que l’Allemagne et la France ne soient pas d’accord sur tous les sujets, ça ne me dérange pas. L’essentiel, c’est qu’on puisse discuter. Au cœur de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, Andreas Jung et moi-même avons coordonné un groupe de travail, constitué de 15 députés, pour moitié Français et Allemands, toutes fractions et groupes représentés. Le thème était la souveraineté énergétique franco-allemande.
C’était un sujet un peu chaud. On ne s’est pas disputé sur le nucléaire pour savoir lequel de nos deux pays avait le mix énergétique le plus propre, non, on a très rapidement réussi à dépasser cela et à en venir aux vrais enjeux. Par exemple, comprendre le développement des réseaux électriques qui est un des problèmes prioritaires à mon avis.
Donc le fait qu’il y ait des vues différentes, sur le Mercosur, sur l’énergie nucléaire ou pas, sur un certain nombre de choses, ça n’est pas gênant dans l’Union européenne. Nous savons gérer les conflits dans l’Union européenne sans nous faire la guerre. Profitons-en. Je ne sais pas comment ça va se régler sur le Mercosur mais je suis persuadé que M. Merz n’a pas envie que des produits qui ont brûlé la forêt au Brésil soient vendus sur les marchés allemands.
Certes, mais les Allemands, en ce moment, doivent affronter le fait que justement la base de leur économie, qui était les échanges de marchandises sans barrière, est en train de s’effondrer et il y a une énorme crainte en Allemagne.
En France, nous voulons aussi exporter. Mais notre intérêt, ce n’est pas qu’il y ait un Mercosur n’importe comment. Notre intérêt, c’est effectivement d’encourager les échanges internationaux dans l’intérêt de nos producteurs, de nos agriculteurs, de nos scientifiques, de nos sociétés, mais sans s’affaiblir et sans accepter que cela transforme le monde en jungle.
Et ça, quelle que soit la priorité d’entrée qui est plutôt en ce moment « attention à nos automobiles » en Allemagne et « attention à notre agriculture » en France. Ce sont des points d’entrée (dans la discussion), mais nous avons des institutions que ce soit le Parlement européen, le Conseil européen et même la Commission qui, je le rappelle, est une institution démocratique, nous permettant de régler cette divergence de départ pour avancer. Pour ma part, j’ai tout à fait confiance que des gens comme Merz, profondément européens, qui comprennent tout l’intérêt que cette construction peut avoir pour leur propre pays et pour la stabilité du monde, feront avancer les dossiers.
Alors, justement un des gros dossiers, c’est la défense. Jusqu’à présent, les Allemands achètent américains parce que les USA assuraient leur sécurité. Les projets franco-allemands comme l’avion commun (FCAS) ou « le char du futur » ont mis des années à voir le jour notamment à cause de rivalités sur les droits… Est-ce qu’il ne faudrait pas accélérer ?
Vous êtes sévère. C’est vrai sur les propriétés intellectuelles des uns et des autres. Ce travail est en route. Il est vrai que cela prend du temps mais pas plus longtemps que d’habitude. Je vous rappelle quand même que dans l’histoire, on a créé une brigade franco-allemande, on était aussi ensemble au Mali. Bref, on a déjà agi ensemble dans le domaine de la défense. Que les Allemands achètent américains, ce n’est pas uniquement une espèce de donnant-donnant « Je te protège, mais tu achètes chez moi. » C’est aussi un problème technique. Quand on construit un avion qui doit porter éventuellement une charge nucléaire, il faut qu’il soit compatible. Allez dire à un industriel allemand « tu vas construire un avion qui ne soit pas américain, mais tu dois acheter le brevet pour porter les bombes, tu dois acheter le brevet pour autre chose… Il faut que les ceintures de sécurité soient comme ça, etc.… » Il va dire : « Mais à quoi ça sert ? Je le construis, mais je ne vais pas gagner d’argent. Il faudra que j’achète toutes les licences de compatibilité chez les autres. » Donc voilà, c’est ça qui était difficile au début.
Hélicoptère et avion FCAS
Vous l’avez dit vous-même, ça prend du temps sur les brevets. L’industrie ce sont des brevets. Donc, il a fallu remettre un peu à niveau, discuter longtemps, mais nous l’avons déjà fait, par exemple avec Airbus Helicopter à Marignane et à Donauworth (Bavière). Et, ce qu’on a fait avec le char du futur et l’avion FCAS, est incomparablement plus compliqué qu’Airbus, puisque ce sont non seulement des enjeux de secret défense, mais en plus, ce sont des enjeux de nouveaux métiers. Le FCAS ce n’est pas un simple avion, mais un système complet qui aura des drones associés, de l’information… c’est-à-dire qu’il faut monter des filières d’ingénieurs différentes, etc. Donc, qu’on ait réussi à faire ça entre quatre ou cinq ans par rapport au temps qu’on a mis pour faire Airbus, moi, ça ne me choque pas. C’est normal. Ce qui change, c’est le « Zeitenwende », le changement d’ère, l’investissement massif, collectif. C’est ce qui est nouveau en Allemagne.
Mis à part la défense, qu’en est-il d’un autre domaine, la culture ? On voit bien par exemple que les États-Unis mènent aussi un combat idéologique. La coopération franco-allemande culturelle, ne devrait-elle pas être un peu plus forte ?
Qu’elle soit un peu plus visible, je veux bien, mais je vais vous donner deux exemples peu connus. Je suis en effet convaincu que ce qui se passe en franco-allemand et puis en Weimar (le triangle de Weimar avec la Pologne) et même au sein de l’Union européenne, par exemple avec Erasmus, je suis convaincu qu’avec cela on est en train de construire une culture commune qui sera très forte et très utile au monde dans les cinq, dix, vingt ans qui viennent.
Dépoussiérage des échanges franco-allemands
J’en veux pour preuve deux exemples très concrets. Je connais un très vieux jumelage qui tombait un peu en désuétude, un jumelage, comme on dit parfois « match de foot et choucroute ». Eh bien, les deux municipalités ont décidé de le relancer. Et pour cela, elles se sont engagées à échanger pendant un an leurs directeurs de musée. Si ce n’est pas culturel, ça !
Deuxièmement, grâce à l’Assemblée parlementaire franco-allemande et un important travail fait en coopération, l’idée du pass-culture a infusé en Allemagne. Le pass-culture allemand (KulturPass) vient de France. Il a été développé en franco-allemand.
Mais vous avez raison de souligner l’importance de la culture. On fait d’ailleurs dire à Jean Monnet, un des fondateurs de l’Europe, qu’il aurait dû commencer par la culture et pas par l’économie. Eh bien, je pense que c’est ce que nous faisons aujourd’hui en Europe, je le vois bien dans tous les pays où je passe. Ce qui tient les choses en Serbie par exemple aujourd’hui, c’est la culture démocratique, la culture, ce sont les étudiants. J’en ai un peu assez qu’on nous dise que les élites ne comprennent pas le peuple, etc. Le monde est compliqué, c’est la culture qui donnera aux citoyens les clés pour mieux le comprendre et pour agir dans le monde.
Mais les universités dans ce domaine sont plutôt en mauvaise forme, que ça soit en France ou en Allemagne.
Elles coopèrent, c’est essentiel. Il y a quand même des avancées sur des programmes universitaires et des programmes de recherche qui sont brillants. En ce moment, en Europe, les 17 universités européennes, je les visite, je les rencontre, je les fais intervenir. Vous savez, deux heures en face d’un panel d’étudiants, c’est plus compliqué que d’être à l’Assemblée !
- Frédéric Petit fait allusion à la polémique soulevée durant la campagne électorale du candidat Friedrich Merz. Il n’avait pas exclu un vote soutenu par l’AfD (Alternativ für Deutschland, parti d’extrême droite), une ligne rouge en Allemagne, pour faire passer un projet de loi sur l’immigration. Celui-ci a échoué.
Copyright EC
Ce blog est gratuit, profitez-en, mais si vous le désirez vous pouvez le soutenir en vous distrayant : je vous propose deux romans de ma plume au choix, l’un sur une aventure franco-allemande, l’autre un polar qui annonce déjà le goût de l’été!

Puisqu’il faut partir (Ed.Complicités). En vente dans toutes les librairies, y compris FNAC et Amazon (Prix 19€) et sur le site des Editions Complicités.
Ce roman évoque la saga d’une famille franco-allemande les Beck, et notamment le héros Dominik, qui quittent la Lorraine en 1789 et repartent dans leur village allemand d’origine. La révolution est sur leurs talons, les troupes déguenillées des Sans-Culottes, puis celles de Napoléon occupent leur village en Hesse rhénane. Sauront-ils survivre aux tribulations des guerres révolutionnaires, peut-être même tirer quelque profit de cette présence française ? Et quel sera l’horizon des nouvelles générations ? L’émigration est le thème de ce roman, qui, je l’espère saura vous captiver…
Si vous préférez vous aérez l’esprit, rendez-vous en Bretagne, pour humer l’air de la mer
Silence de mort dans le Golfe (Ed.Librinova) Livre numérique. En vente chez Amazon, FNAC, Kobo, librairie Librinova (Prix 4,99€)
Je vous embarque sur la « Petite mer », le Golfe du Morbihan. Deux meurtres en quelques jours dans une famille d’ostréiculteurs : ce n’est pas banal. Surtout dans une région tranquille du Golfe du Morbihan. La commandante de gendarmerie Nathalie Dumoulin est sous pression. Les médias s’impatientent, le procureur aussi. L’affaire fait grand bruit jusqu’à Paris. Au milieu de cet imbroglio, le cœur de la commandante Dumoulin bat la chamade tandis qu’à la gendarmerie les rivalités éclatent. Saura-t -elle s’affirmer ? Elle en doute parfois mais on aurait tort de la sous-estimer.

