Lire et écrire…ma page d’auteur. Episode 3

Les mots… c’est la matière que nous utilisons pour écrire, chacun d’entre nous, dans nos lettres, nos notes, nos carnets de voyage ou nos journaux intimes, dans nos recettes de cuisine ou nos cours au lycée ou ailleurs. C’est aussi la matière première, l’argile en quelque sorte, des auteurs et écrivains. Au commencement était le verbe, dit la Bible. J’imagine volontiers qu’il s’agit de l’énergie première du monde que nos mots, notre langage humain a concrétisé à notre mesure. (Et tant pis si mon interprétation est un peu lègère). Les mots nous ont permis de progresser au-delà de la simple communication. Ils induisent la logique, le raisonnement, la transmission. Ils traduisent nos émotions, permettent leur partage. Malgré l’envahissement des algorithmes, les mots sont encore là, ils gardent tout leur poids et leur mystère, leur poésie, leur violence aussi parfois… Dans cette page de Notices je vous livre quelques réflexions sur la puissance des mots qui nous entourent.

Des mots pour le dire…Photo EC

La « lassitude du monde » (Weltmüdigkeit), ce mot allemand que je trouve poétique, décrit mieux que de longues explications, le sentiment qui nous étreint face aux évènements disruptifs qui ne cessent de se multiplier. Déjà en 2017, dans un article publié par la Fondation allemande Friedrich Ebert, sociale-démocrate, l’auteur Timon Mürer, constatait : « Bien sûr avec toutes les crises, guerres et catastrophes, une ceraine lassitude du monde est compréhensible. » Le Covid puis le déclenchement de la guerre en Ukraine nous ont ébranlé et ont fracturé nos sociétés. Les Eglises, elles, s’efforcent de donner une vision plus optimiste : « Les crises multiples de notre temps ne signifient pas la fin. Et pour cette année qui débute, ce n’est pas le ras-le-bol ou la lassitude du monde qui doivent dominer mais l’espoir et l’engagement », voilà ce que recommendait le magazine culturel des Jésuites allemands, Stimmen der Zeit dans un article de 2023 . Bref, on peut le dire, d’un bout à l’autre du spectre politique, le constat est le même, la lassitude du monde, le ras-le-bol voire l’ennui saisissent nos sociétés. C’est cela qu’exprime ces mots : nous sommes des spectateurs sidérés et impuissants devant une marche du monde menée tambour battant par des hommes sans foi ni loi, si ce n’est celle du plus menteur et du plus puissant. Des hommes d’affaire milliardaires, des autocrates aux rêves impériaux. Pourtant ils ont beau avoir la force pour eux, les mots leur font peur. En Russie on n’a pas le droit d’évoquer « la guerre  » contre l’Ukraine. Ce mot résonne mal dans les oreilles des Russes! Alors le régime préfère parler en périphrase : « l’opération spéciale ». Et de l’autre côté de l’Atlantique, je découvre avec stupéfaction que certains mots – ceux qui participent à la description du genre seraient « interdits » dans l’administration américaine, des mots essentiels pour certains programmes de recherche ou de santé, d’autres mots, plus politiques, seraient seulement « surveillés. » La chasse au sorcières serait-elle ouverte? Les mots ont du poids.

Les mots de résistance

Mais personne ne possède le langage et l’on peut aussi utiliser des mots de résistance. Ces mots-là, curieusement c’est un sénateur français centriste Claude Malhuret qui les a prononcés à la tribune du Sénat, « Washington est devenu la Cour de Néron » a-t-il entre autres déclaré. Ses mots ont fait le tour du monde. Ils m’ont été transmis par les réseaux sociaux allemands. Ils ont franchi l’Atlantique. Les mots n’ont pas de patrie. Ils volent, relayés et vus des centaines de milliers de fois par les réseaux sociaux aux États-Unis, la puissante chaine de télévision CNN les a diffusés. Son intervention a été traduite par le réputé magazine the Atlantic. Réaction de son auteur, Claude Malhuret : « C’est sans doute ce que pensent beaucoup d’Américains ». Il a raison, la collusion de Trump avec Poutine met mal à l’aise, paraît-il, une partie des Américains . Mais le sénateur poursuit : « Moi je n’ai rien à craindre de Trump. C’est l’avantage d’être dans une démocratie ». Rien ne fait plus peur aux Puissants et aux dictateurs que les mots. La puissance des mots.

Les mots qui réparent

C’est cela qu’évoque l’écrivain Etienne Kern dans son roman sensible La vie meilleure (Gallimard 2024). Il s’y attache à retracer et retrouver la vie d’Emile Coué, mais oui, celui de la Méthode Coué, en la reliant à son expérience personnelle. C’est vrai que l’autosuggestion, c’est du passé. N’importe quel psychologue sérieux se récriera et argumentera que la voix entre charlatanisme et traitement efficace est ténue. Tout cela est vrai. Mais au vu de la situation actuelle, il est peut-être salutaire d’employer des mots qui redonnent de l’espoir. Les états dépressifs se multiplient chez les jeunes de la tranche 18-24 ans comme le constatent les études. Il n’est sans doute pas vain de se répéter, comme le conseillait ce brave M. Coué, apothicaire de son état, sa formule magique « Tous les jours, à tous points de vue, ça va de mieux en mieux ». Ces mots nous paraissent aujourd’hui pleins d’ironie. Ils seraient même carrément ringards, si John Lennon ne les avait pas anoblis en les qualifiant de « petite prière » dans sa chanson Beautiful Boy (1981), berceuse pour un enfant, le sien Sean. Pour chasser les peurs enfantines, il lui recommande de dire chaque soir avant de s’endormir « a little prayer : Every Day, in every way, it’s going better and better, beautiful, beautiful, beautiful boy ».  Merci à Etienne Kern j’avoue que je n’aurais jamais fait le rapprochement d’autant plus que Coué était passé de mode dans les années 80. Pas de Freud, pas d’inconscient, juste de l’imagination, de l’humanité chez Coué et une recette facile à appliquer, la fameuse méthode. C’est une fenêtre sur l’avenir, une fenêtre d’espoir. Coué était-il un charlatan ? Il n’était pas dupe de lui-même d’après Etienne Kern, et en tout cas il ne s’est jamais déclaré médecin, ni psychologue, mais grâce à ses mots d’espoir, il a aidé des patients éclopés, des soldats meurtris, des femmes endeuillées par la Première Guerre mondiale à retrouver un peu de joie de vivre. Son succès ne s’est pas démenti et a crû de manière incroyable dans les années folles, notamment aux États-Unis. Coué est mort, mais les mots, eux, qu’on les écrive, qu’on les dise et les répète ou qu’on les murmure, restent tout puissant. Ils reflètent notre imaginaire. Ce sont ceux de la prière, de l’invocation, ceux qui racontent notre mal de vivre chez le psychologue, ceux qui dopent le moral des troupes ou des sportifs. Une fois prononcés, ils déploient leur puissance. Pour le meilleur et pour le pire.

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Ce roman évoque la saga d’une famille franco-allemande les Beck, et notamment le héros Dominik, qui quittent la Lorraine en 1789 et repartent dans leur village allemand d’origine. La révolution est sur leurs talons, les troupes déguenillées des Sans-Culottes, puis celles de Napoléon occupent leur village en Hesse rhénane. Sauront-ils survivre aux tribulations des guerres révolutionnaires, peut-être même tirer quelque profit de cette présence française ? Et quel sera l’horizon des nouvelles générations ? L’émigration est le thème de ce roman, qui, je l’espère saura vous captiver…

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Je vous embarque sur la « Petite mer », le Golfe du Morbihan. Deux meurtres en quelques jours dans une famille d’ostréiculteurs : ce n’est pas banal. Surtout dans une région tranquille du Golfe du Morbihan. La commandante de gendarmerie Nathalie Dumoulin est sous pression. Les médias s’impatientent, le procureur aussi. L’affaire fait grand bruit jusqu’à Paris. Au milieu de cet imbroglio, le cœur de la commandante Dumoulin bat la chamade tandis qu’à la gendarmerie les rivalités éclatent. Saura-t -elle s’affirmer ? Elle en doute parfois mais on aurait tort de la sous-estimer.