Prendre de la hauteur pour une auteure, au-delà du jeu de mots c’est une source d’inspiration. Et me voilà justement très haut dans le ciel au-dessus de la Manche. De mon hublot, je découvre, plantées dans la mer en rangées bien alignées, des sortes d’aiguilles, en écarquillant les yeux, je comprends qu’il s’agit d’éoliennes. Moderne, le pays du Brexit ? Certes, mais c’est une autre Angleterre, plus classique, que j’ai préféré suivre pendant quelques jours. Voici quelques notices, un peu éparses, de ce voyage …Vous avez certainement d’autres expériences.
Shakespeare noyé sous des nuages de confettis roses dans une mise en scène endiablée de la comédie « Beaucoup de bruit pour rien » (Much Ado about Nothing) au théâtre Royal Drury Lane de Londres, ce n’est pas ordinaire. Pour un peu on se croirait dans le film tout en rose de Barbie. Un clin d’œil du metteur en scène ? Depuis le haut des gradins – au poulailler – mon regard plonge sur une salle comble, un théâtre très vivant, lieu de communion et d’amusement pour tous les âges, attirés par un acteur emblématique Tom Hiddleston. Il y tient le rôle de Benedict, le célibataire enragé de la comédie de Shakespeare qui, bien entendu, finit par céder aux sirènes de l’amour. J’avoue humblement que je ne le connaissais pas, mais sur les gradins des jeunes filles se pâment de voir leur idole. Elles sont venues pour lui, sans doute plus que pour Shakespeare. À la sortie, elles l’attendent, rieuses, en espérant une dédicace. Les groupies existent encore !
Retour aux sources, dans le propre théâtre de Shakespeare
Ce théâtre, c’est le Globe, reconstruit à l’identique grâce à l’argent et à l’inépuisable énergie d’un Américain, acteur, réalisateur et producteur, Sam Wanamaker. En 1949, lors d’une visite à Londres, il n’avait trouvé qu’une plaque commémorative. Le véritable théâtre de Shakespeare construit en 1599 avait en effet brûlé. Reconstruit au même emplacement, l’administration puritaine l’avait fermé. Il avait été détruit en 1644. Ni une, ni deux, Wanamaker s’était donc lancé dans le projet fou de reconstruire le Globe, presqu’à l’identique. Et aujourd’hui dans ce décor étonnant on peut entendre résonner la musique des pentamètres iambiques, ces vers issus du théâtre grec antique que Shakespeare appréciait particulièrement. Un frisson me parcourt lorsque notre guide anglais, lui-même acteur, récite la fameuse tirade de Hamlet, « to be or not to be… » et ses questions angoissées : « to die, to sleep ; to sleep : perchance to dream… » ou celle assez drôle de Benedict jurant qu’il restera célibataire. Pourquoi le poète anglais chérissait-il cette forme métrique ? Il estimait, paraît-il qu’elle se rapprochait le mieux de la langue orale.
Un grand saut dans la modernité
C’est par hasard que je tombe sur l’immeuble minimaliste Isokon, inspiré du Bauhaus, à l’architecture détonnante au milieu des cottages victoriens et maisons géorgiennes qui font le charme du quartier huppé de Hempstead. Ici se sont réfugiés en 1936 les initiateurs du mouvement Bauhaus, menacés par les nazis, Martin Gropius, Marcel Breuer, celui-là même dont la vie a inspiré le film The Brutalist, et l’architecte hongrois Laszlo Moholy-Nagy. Ils ont habité un des appartements spartiates de l’immeuble en même temps qu’une certaine Agatha Christie. Un bar, le Isobar, s’y est ouvert qui attirait les artistes et intellectuels socialistes de l’époque vivant dans le quartier. Dans le calme d’un dimanche matin, en arrêt devant cette bâtisse aux lignes pures, je songe quelques minutes à ces artistes et leur vie pleine d’espoir mais aussi menacée par la guerre et les terribles dictatures de l’époque. Le savaient-ils ? L’immeuble était truffé d’espions et d’espionnes de l’URSS qui résidaient parmi eux. Et notamment l’un des chefs espions de l’époque. Ce qui me ramène à l’actualité éprouvante de notre siècle.
Une scène inouie en mode pugilat
Encore à Londres, encore du théâtre, mais cette fois-ci de très mauvaise qualité. Je découvre, comme le monde entier, par télé interposée, la salle ovale de la Maison Blanche où deux brutes toutes puissantes, gonflées d’arrogance, un président et son vice, – le « chien d’attaque », comme l’a appelé la presse américaine – agressent verbalement et humilient un autre président. Celui-là est usé par trois ans de guerre, un comédien qui a endossé un costume de résistant pour sauver son pays, ses traits se sont aiguisés, son regard est d’une infinie tristesse, parfois la colère se lit aussi. Il a perdu, il le sait, mais il se bat encore. Il a deux ogres contre lui, l’un à Washington, l’autre à Moscou. L’un des deux, celui à la coiffure orange, veut organiser une table où ils se retrouveront à trois. Quel festin ! Par qui va-t-il être mangé, ce président dans son éternelle tenue de combat noire ? Qui va le dépecer ? Il sait qu’il va lui falloir quitter la scène. Shakespeare en aurait fait un héros tragique, mais il n’est plus. On lira sans doute le destin vertigineux de ce petit comédien devenu un grand président dans les livres d’histoire.
Il est temps de reprendre l’avion à Stansted, l’aéroport de Londres où, la veille, le président malmené a atterri. Il vient chercher du soutien auprès des Européens et leurs alliés, le Canada et la Turquie. L’Histoire n’est pas encore complètement écrite.
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