Un immigrant du nom de Trump

Les immigrants ? Le nouveau président des États-Unis, Donald Trump, ne les aime guère. Il est pourtant lui-même petit fils de réfugié, qui comme tant d’autres d’ailleurs, ont contribué à créer la richesse des USA. Ses ancêtres sont allemands, ils ont fait preuve d’endurance, d’esprit d’entreprise, mais aussi de rudesse et de manque de scrupules. En tout cas, il ne semble pas disposé à faire de cadeau particulier au pays de ses origines, l’Allemagne. Bien au contraire. Mais d’abord, revenons en arrière.

L’installation des Trump aux États-Unis n’est pas très ancienne (1885), elle suit un modèle qui s’est mis en place dès la moitié du XIXe siècle. Les Américains semblent avoir oublié un tant soit peu que leur pays s’est construit avec des immigrés. Un sixième de la population américaine est d’origine allemande. En 1914, on en comptait quelque sept millions et parmi eux un certain Friedrich Trump, le grand-père de l’actuel président. Son parcours de départ ressemble à celui de Dominik Beck, le héros de mon roman Puisqu’il faut partir (ed. Complicités). Les lecteursretrouveront quelques thèmes familiers : une famille de vignerons du sud-ouest de l’Allemagne, le Palatinat. De nombreux enfants, six, ce qui est plutôt dans la norme pour l’époque. Des héritiers jeunes qui doivent se partager un très maigre héritage, puisqu’il se fait selon le principe de la division des biens immobiliers (Realteilung). Et dans le cas de Trump, un malheur : le père qui meurt jeune en laissant des dettes, dues à sa maladie.

D’après les informations glanées sur Wikipédia, Friedrich Trump vient alors tout juste de finir son apprentissage comme coiffeur. Il a 14 ans.  Il essaye de s’installer à son compte dans sa ville natale de Kallstadt. Mais il échoue. Et le service militaire approchant, on décide de l’envoyer en Amérique où se trouve déjà une sœur Katharina et son mari Fred Schuster. Un thème à nouveau classique : on n’émigre pas tout seul, la famille, comme dans Puisqu’il faut partir, se tient les coudes dans la nouvelle patrie.

La ruée vers l’or

Mais, et cela détonne, malgré son jeune âge, le garçon ne semble pas avoir froid aux yeux : il décide d’accompagner les pionniers qui participent à la ruée vers l’or dans l’ouest des États-Unis en ouvrant le long de la route des abris où l’on peut non seulement boire, mais aussi manger et de surcroît pour ces hommes rudes, rencontrer des femmes. Une pensée pour elles ! Voilà en tout cas ce que raconte Gwenda Blair, une des biographes les plus réputées de la famille Trump (The Trumps). Le business marche bien et Frederik payé en pépites d’or demande à sa sœur à New York de les investir dans l’immobilier. Au passage, il a anglicisé son nom.

Si l’on considère les biographies des immigrants allemands aux USA, elles ont souvent en point commun, l’inventivité, la débrouillardise et le culot. Sans oublier le courage. Néanmoins, le business de Friedrich Trump détonne par sa rudesse. Beaucoup de ces réfugiés étaient très religieux, d’autres sont de petits commerçants, ou comme la famille Beck vont développer une brasserie, créer un chemin de fer…

Un ancêtre de sac et de cordes

Quoiqu’il en soit, Friedrich Trump, et c’est aussi un point commun à nombre de ces réfugiés, n’a pas oublié ses origines. Il retourne au pays pour épouser une voisine, Elisabeth Christ. Mais le bonheur est de courte durée.  La police militaire de Bavière ne badine pas : Frédéric n’a pas fait son service, il risque la prison.  Le 1er juillet 1905, Friedrich et Élisabeth embarquent donc à Hambourg et quittent l’Allemagne. Arrivée en Amérique, il reprend part à la ruée vers l’or. Cette fois-ci il achète une ancienne maison de passe, et la transforme en gargote pour chercheurs d’or dans une station perdue de l’actuel Canada, Monte Christo au nord de Seattle. Les conditions climatiques sont abominables et l’hiver les chercheurs quittent l’endroit. Pas Trump. Il y reste un an entier avant de quitter définitivement les lieux, en même temps qu’un certain Rockefeller. Puis à pied, en traversant la Chaine Côtière, des montagnes glaciales, il rejoint un coin désolé de Colombie-Britannique Bennett, au Canada, le nouveau spot des chercheurs d’or. Il veut devenir riche. Entre-temps il a eu plusieurs enfants, dont le père de l’actuel président Fred C. Trump.

En 1918 Frédérick Trump meurt de la grippe espagnole en laissant un joli pactole de 30 000 dollars (500 000$ actuels) que sa femme fait fructifier. Elle construit des immeubles sur les terrains achetés par son mari : la voie est tracée pour le fils Fred C.Trump qui se lancera dans l’immobilier et deviendra multimillionnaire. Les affaires, toujours les affaires !

Après la Seconde Guerre mondiale, Frédérick Trump ne veut plus faire connaitre ses origines allemandes. À cette époque, cela fait mauvais genre pour les affaires. Fred C. Trump prétend alors qu’il vient d’une petite ville suédoise, Karlstad. Un Viking en quelque sorte.  Ce qui plait à Donald Trump qui attendra de son côté jusqu’aux années 1980 pour reconnaitre son origine germanique. Il n’est d’ailleurs pas le seul dans ce cas. De nombreux jeunes Allemands nés après la guerre ont eu recours à ce stratagème pour éviter à l’étranger des réactions hostiles, voire des insultes. C’est compréhensible, mais il est d’autant plus choquant que Donald Trump se soit permis pendant plusieurs années de contester la citoyenneté américaine du président démocrate Barack Obama en soutenant des rumeurs conspirationnistes.

Menaces pour l’Allemagne

Ce qui nous ramène à l’actualité. Les titres de la presse allemande le soulignent : Donald Trump s’attaque directement au pays de ses origines. « Donald Trump critique l’Allemagne et la presse dans son dernier meeting », titre par exemple la Frankfurter Rundschau. (1) Rien d’étonnant, le président américain n’est pas du genre sentimental ! Et surtout l’Allemagne représente tout ce qu’abhorre Trump et notamment le commerce mondial libre, les institutions internationales, une culture du compromis et de la règle de droit. Mais surtout, « le géant économique de l’Europe » comme l’appelle Kenneth Rogoff, professeur à Harvard, (2) exporte massivement aux États-Unis. En 2023 pour la bagatelle de 150 milliards d’euros. Dans l’autre sens, les USA n’ont exporté que pour 95 milliards d’euros vers l’Allemagne. Explication lapidaire de Trump : « Ils nous trompent. Ils vont payer le prix maintenant. »

Les entreprises allemandes sont donc inquiètes. Un exemple parmi d’autres, choisi par la TV allemande, (3) le cas d’une entreprise de taille moyenne, située dans une petite ville de Rhénanie-Palatinat, la région d’origine des Trump, qui réalise 20% de son chiffre d’affaires aux États-Unis. Pour cette firme qui fabrique des produits industriels, des systèmes de transfert de chaleur (Wärmerübertragungsanlagen), une augmentation des droits de douane aux USA serait une catastrophe. Trump clame qu’il veut les faire passer de 1,5% actuels à 10-20%. Autant dire que la compétitivité des produits allemands s’effondrerait.

Trump pratiquerait-il une « politique de vengeance », comme certains analystes l’affirment ?  Il estime que les pays européens, en particulier l’Allemagne, ont profité à peu de frais pendant des années du parapluie nucléaire américain pour leur sécurité et de son marché libre pour leurs produits. Notamment dans son viseur, les voitures allemandes. « German car companies can become american car companies », a-t-il lancé, menaçant, à plusieurs reprises durant sa campagne électorale.  Autrement dit, VW, BMW, Mercedes, les fleurons de l’industrie automobile allemande devraient s’installer aux USA. « Les firmes allemandes vont se délocaliser en masse, de l’Allemagne à la Géorgie (USA) », a-t-il claironné plusieurs fois dans ses meetings. Et déjà la presse économique allemande croit savoir que des filiales de VW pensent à une production aux USA. Il en irait de même pour Audi et Porsche, c’est en tout cas ce qu’annoncait le quotidien Handelsblatt. Inutile de dire que ces délocalisations aux USA auraient de graves conséquences sur l’emploi en Allemagne. L’institut Hans-Böckler évoque même le chiffre de 300 000 emplois ! (4)

Une forme de chantage

D’après l’institut de recherches économiques mondiales de Kiel, si les Américains augmentaient les droits de douanes à 10% sur les produits européens, les exportations allemandes vers les USA diminueraient de 15%. Mais Trump ne serait pas Trump, s’il n’avait pas un deal tout prêt : c’est simple, comme toujours avec lui, les Allemands doivent continuer à acheter du pétrole et du gaz aux Américains. Dans ce cas-là, déclare-t-il, pas d’augmentation des droits de douane sur les voitures allemandes.

Du chantage ? L’actuel ministre de l’Économie Robert Habeck a donné sa réponse dans une interview au journal économique Handelsblatt. Si l’Allemagne accepte ce deal, estime-t-il, elle reproduirait la même dépendance qu’avec la Russie avant la guerre contre l’Ukraine. L’Allemagne est en effet dépendante à 76% des importations de gaz. Il préconise plutôt d’accélérer la production d’énergies renouvelables, pour alimenter notamment les voitures électriques et sortir de la dépendance au pétrole.  

Et non sans esprit de répartie, il préconise de répondre avec des taxes élevées sur les produits des Gafa, puisque nous leur donnons sans contrepartie financière, toutes nos données, ce qui vaut de l’or. Et l’or, on s’en souvient, la famille Trump s’y connaît. Décidément, c’est vrai, l’Amérique reste le pays des chercheurs d’or.

Copyright

  • Frankfurter Rundschau 5.11.2024
  • Interview au Handelsblatt- Nr.17 /24-25-26 janvier 2004
  • Monitor US-Wahl : Deutsche Angst vor Donald Trump- (élections US – L’Allemagne craint Donal Trump) 24 octobre 2023
  • Handelsblatt 29 janvier 2025
  • Institut für Makroökonomie und Konjunkturforschung der Hans-Böckler-Stiftung

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