Cela faisait presque un quart de siècle qu’un président français n’était pas venu en visite d’État en Allemagne. Une invitation lancée par le président allemand Walter Steinmeier (SPD). Elle s’est déroulée pendant trois jours, du 26 au 29 mai, lors d’une année très symbolique pour l’Allemagne, celle de la fête de la démocratie : 75 ans depuis la promulgation de sa première constitution démocratique avec un autre anniversaire tout aussi important, les 35 ans de sa réunification. Mais au-delà de ces dates symboliques, cette visite a-t-elle réanchanté la relation franco-allemande ?
Pour l’arrivée de Macron en Allemagne, le temps était au beau. Et l’atmosphère à la liesse : le peuple allemand fêtait dans une ambiance bon enfant les 75 ans de sa constitution fondamentale, en fait le succès de sa première véritable démocratie. Emmanuel Macron est arrivé au milieu de ces festivités et a su, avec sourire et décontraction, saisir ce moment et y participer. Le contraste ne pouvait pas être plus surprenant en regardant ce même soir le journal télévisé français : des images de violence venues de Nouvelle-Calédonie, les bombes en Ukraine et au Moyen-Orient. Bref, un monde malaisant et hors de contrôle. Dommage que la rédaction n’ait pas cru nécessaire de montrer l’image paisible et détendue de la première conférence de presse commune entre l’hôte, le Président Walter Steinmeier et le Président français Emmanuel Macron à Berlin ainsi que leur déambulation devant la célèbre Porte de Brandenbourg en compagnie de Brigitte Macron. Un couple présidentiel façon Kennedy, French touch en plus. Coup de chapeau au passage pour la discrétion et la classe de la femme du président dans une tenue saumon du plus bel effet. Mais faut-il vraiment porter des talons d’une hauteur vertigineuse?
L’amitié franco-allemande indispensable
Certes il s’agissait d’un échange protocolaire, mais les deux Présidents se connaissent de longue date et semblent s’apprécier, on dirait banalement qu’ils sont « sur la même longueur d’onde » bien que de partis différents. D’après le magazine der Spiegel, le président Steinmeier gouterait le côté « disruptif » de notre président Macron. On ne peut en dire autant du chancelier Olaf Scholz, homme du nord, tout en retenue qui ne semble pas avoir beaucoup d’atomes crochus avec Emmanuel Macron. Quoiqu’il en soit, les deux Présidents Steinmeier et Macron ont célébré l’amitié franco-allemande et la nécessité de défendre la construction européenne. Ce n’est pas un scoop. Mais ce qui a longtemps pu paraitre assez banal, n’est plus si évident de nos jours. La jeune génération actuelle n’a plus de parents pour témoigner de la fragilité des démocraties et de l’entrée en guerre en 1939. Et pourtant cet avertissement est plus valable que jamais, à l’heure des populistes et des fake news, des extrémistes de tout bord et de la guerre sur le continent européen. Alors, réjouissons-nous de ces images d’harmonie entre deux peuples au nationalisme chatouilleux. Ce ne sont que des images peut-être, mais elles ont leur poids.
L’Europe menacée de l’intérieur
Durant tout son séjour, Emmanuel Macron n’a d’ailleurs cessé de mettre en garde contre les tendances nationalistes, populistes, voire extrémistes. À juste titre : en France, Marine Le Pen et son parti Rassemblement National (RN) dont l’objectif affiché est de détricoter la construction européenne (Commission réduite au niveau d’un secrétariat, non-respect des traités, suprématie de la loi française sur les lois européennes, etc.) caracole en tête des sondages à l’élection européenne. Autour de 30%.
Et en Allemagne l’extrême droite AfD (Alternativ für Deutschland) devient carrément infréquentable. On se souvient de la réunion secrète organisée en novembre à Potsdam par des cadres du parti et dévoilée par le média d’investigation indépendant Correctiv. Leur objectif : le plan « Remigration », c’est-à-dire l’expulsion de tout citoyen « non assimilé », soit des millions d’Allemands. Les dérapages se sont depuis multipliés notamment par la tête de liste Maximilian Krah. Au point que Marine le Pen a rompu avec ces alliés germaniques compromettants. Et que le groupe Identité et Démocratie (ID) du Parlement européen où figurent la Lega Italiana et le RN a exclu l’AFD. Et pourtant en Allemagne, les sondages donnent encore le parti AfD autour de 15%.
Et ce ne sont que les exemples les plus criants, mais dans toute l’Europe, Hongrie, Slovaquie, Suède, Pays-Bas, Autriche les partis anti-européens, populistes ont le vent en poupe.
« Aujourd’hui, en Europe, notre paix, notre prospérité, nos démocraties sont menacées si nous ne savons pas réagir, si nous ne savons pas prendre les bonnes décisions » a mis en garde Emmanuel Macron dans un discours vibrant, en allemand et en français, qui s’adressait à un millier de jeunes – sans doute triés sur le volet – « de Varsovie, de Prague, de Görlitz ou de Weimar », bref de toute l’Europe – et notamment d’Europe de l’Est, rassemblés à Dresde, dans la partie orientale de l’Allemagne. Un avertissement qu’il n’a cessé de répéter depuis son dernier discours de la Sorbonne à la mi-avril sur l’Europe puissance (un terme qui d’ailleurs n’existe pas en allemand).
Par-delà les dissensions franco-allemandes
Le Président Macron a reçu un accueil chaleureux, des applaudissements à son passage, l’Allemagne était sous le charme. Une expérience qu’il ne fait sans doute plus beaucoup en France, remarquaient un tantinet narquois des journalistes allemands. 53% des Allemands ont une opinion positive d’Emmanuel Macron, d’après un sondage Ipsos. Pourquoi ce succès façon pop star ? Notre confrère du magazine der Spiegel (1) estime que Macron sert de figure de projection : « jeune, dynamique, élégant… pour beaucoup d’Allemands, il incarne le rêve inatteignable d’un leader charismatique. » Wow ! Mais le Spiegel ne serait pas ce qu’il est sans ajouter un coup de griffe : « en Allemagne, précise-t.il, avec son amour très français du pompeux et son gout pour le pathétique, il n’aurait aucune chance de devenir chancelier ». C’est dit !
Rupture d’un tabou à Meseberg
Au dernier jour de la visite, le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité a vite fait retomber l’atmosphère festive. La guerre déclenchée par Wladimir Poutine met l’Europe sous une tension extrême et les dissensions entre nos deux pays restent vives dans de nombreux domaines, défense, stratégie vis-à-vis de la Chine, aide à l’Ukraine, budget européen, place du nucléaire… Et pourtant c’est devant le château de Meseberg, lieu emblématique de la politique allemande, et après un entretien avec le chancelier Olaf Scholz, qu’Emmanuel Macron a lancé une annonce d’importance, la rupture d’un tabou. Il a préconisé d’autoriser les Ukrainiens à utiliser les armes livrées – notamment françaises – pour « neutraliser » les bases militaires en Russie d’où sont tirés les missiles qui s’abattent sur l’Ukraine. Et le chancelier Scholz a laissé entendre qu’il n’y voyait pas « d’objection juridique ». Quant au Conseil franco-allemand, il a souligné l’importance de la dissuasion nucléaire française, mais aussi celle du pilier européen dans l’OTAN. Il a même été question d’y intégrer la brigade franco-allemande. Le soutien à nos industries de défense y a été réaffirmé. Bref, Français et Allemands avancent ensemble cahin-caha, parfois la main dans la main, parfois ils se tournent le dos. Cette fois-ci ils ont fait un pas ensemble.
Alors une fois les flonflons emballés que reste-t-il de la fête ? Emmanuel Macron a prononcé en Allemagne des discours inspirés sur l’Europe…Il a été écouté et bien accueilli et a fait une annonce d’importance sur l’aide à l’Ukraine avec l’accord du prudent chancelier allemand. La coopération franco-allemande dans le domaine critique de la défense, a été réaffirmée. Jusqu’à nouvel ordre. C’était plus que de belles images. Sans doute une idée de l’Europe.
(1) Der Spiegel N°22 /25.5.2024
copyyright ec
