La douleur indélébile du déracinement

C’est un récit haletant, intitulé Ayham, périple d’un réfugié, que nous livre un jeune auteur peu connu Oualid Hamdi, émigré tunisien vivant à Bonn. L’institut français de Bonn et le Club international la Redoute ont permis de le présenter. Ils ont eu raison.  Nous découvrons donc l’histoire de Ayham, un de ces nombreux réfugiés syriens dont l’arrivée en 2015 a bouleversé l’Allemagne. Son destin a touché Oualid Hamdi, d’autant plus qu’il résonne avec sa propre situation d’exilé arabe. C’est pourquoi il a décidé d’écrire son témoignage.

Le portable comme un fil d’Ariane pour les réfugiés

 Ce livre-témoignage peut se lire à différents niveaux : celui du récit dramatique proprement dit, la fuite de Ayham, son courage et sa résistance admirables. On peut aussi y entendre la réflexion mélancolique, la tristesse de l’auteur qui vit certes un exil volontaire et confortable dans la ville de Bonn, mais dont la blessure identitaire affleure.

Le livre démarre à la frontière serbo-hongroise en 2015. Et tout de suite nous sommes plongés dans l’action et la menace qui pèse sur Ayham et ses trois amis. Ils se dissimulent à la tombée de la nuit cachée dans un champ maïs, « le sol est dur et glacial. » Ils sont épuisés, ont traversé la méditerranée sur un gonflable rafistolé par les passeurs, marché des kilomètres et doivent maintenant trouver un passeur à une station-service un peu plus loin qui les emmènera contre une grosse somme à Budapest. Leur but, c’est l’Allemagne, mais cette étape est celle de tous les dangers. Les camps hongrois derrière des barbelés, c’est la fin du voyage. Leur rêve peut capoter à tout instant. Et c’est pourquoi ils se cachent et somnolent dans « le champ de maïs, la Mecque des misérables du Levant » avant d’espérer se faufiler dans la nuit noire.

Un périple en forme de thriller

Oualid Hamdi, l’auteur, construit son livre de manière simple et efficace. Par petites scènes. Comme dans un thriller, le suspense en est le moteur. Réussiront-ils à trouver le passeur pour Budapest ? Nous ne le saurons qu’à la fin. En attendant, le lecteur est plongé dans la vie en Syrie, dans celle de la famille d’Ayham, avant la guerre. Avec talent, Oualid Hamdi réussit à mêler cette petite histoire et la grande, celle de la vie d’un adolescent ordinaire, qui se trouve petit à petit pris dans l’engrenage de la violence inouïe du régime des Assad, père, puis fils. La révolution arabe gronde en Tunisie, en Egypte et même finalement en Syrie. Nous le savons, cela se termine dans un bain de sang, la terreur, et le jeune homme plein d’espoir pour une Syrie meilleure comprend qu’il n’a plus qu’une solution : partir, fuir. C’est alors que débute son terrible périple : le Liban, la Turquie des pays qui veulent se débarrasser des réfugiés syriens trop nombreux, la Grèce avec son atroce camp de Moria, la traversée de la méditerranée sur un gonflable rafistolée, la Hongrie menaçante et l’eldorado rêvé, l’Allemagne. Il a perdu son argent, mais surtout son identité, ou plutôt on lui en attribue une autre, celle de l’étranger, du fugitif, du migrant. « Il ne sera plus jamais chez lui », écrit l’auteur.

L’issue de ce voyage est heureuse, puisqu’Ayham a trouvé un emploi en Allemagne et fondé une famille. Pourtant « Le prix à payer, estime l’auteur, est cher, très cher ». L’arrivée dans le fameux Eldorado, l’Allemagne, d’abord, est une catastrophe. Un pays fermé, sans sourire qui envoie Ayham de camp de réfugiés en camp complètement isolé à la frontière avec la République tchèque, dans un environnement hostile et xénophobe. Sans travail, sans argent et sans perspective, attendant une décision administrative, Ayham est désespéré et prêt à repartir. C’est un de ses copains logé par chance dans une grande maison à Bonn qui le sauvera en le faisant venir à l’ouest. Alors tout est bien qui finit bien ?

La littérature pour témoigner

L’intérêt de ce livre est en fait double. Certes, nous avons lu de nombreux témoignages sur des réfugiés, mais la littérature, à la différence du récit journalistique, permet un temps plus long. Et surtout le lecteur peut s’identifier au héros, en l’occurrence Ayham. On sympathise avec les aspirations de ce jeune adolescent, on tremble avec lui, et on est écœuré de l’accueil ou plutôt du non-accueil qu’il reçoit et des dangers qu’il doit vaincre. On quitte le fauteuil confortable et lointain du spectateur pour se retrouver dans le rôle et la peau du migrant. Si cette histoire-là n’était liée au contexte historique de 2015, on pourrait d’ailleurs y voir une sorte de narration épique, un récit de voyage et d’initiation, comme la littérature en a produit beaucoup, sur le passage entre l’adolescence, son innocence et ses aspirations et la réalité du monde adulte.

Mais, l’intérêt de ce livre tient également à un autre aspect : la personnalité de l’auteur. Il s’agit d’un Tunisien, dont le pays a lui-même été le fer de lance des printemps arabes. On y trouve donc une critique sévère de ces dictatures tueuses de liberté et de leurs citoyens, mais aussi une indicible nostalgie d’une enfance arabe, un paradis perdu qui creuse un vide dans l’identité des réfugiés ou immigrés vivant en Europe. Une lecture qui ne laisse pas indifférent(e) à l’heure où les débats sur l’immigration se multiplient.

Copyright E.C.

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