Après plus d’un an de guerre en Ukraine, le bilan est effarant : ce conflit a forcé des millions d’Ukrainiens à quitter leur pays, obligé les voisins à un effort d’accueil considérable et met en danger la stabilité économique, voire alimentaire du monde. Il a balayé des certitudes comme la politique d’apaisement allemande. Bref, une seule question est sur les lèvres : quand ce cauchemar va-t-il enfin s’arrêter ?
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Dans le creux de nos mémoires, transmis à travers les générations, il y a les traumatismes. En Allemagne, c’est la catastrophe totale de la seconde guerre mondiale. Un pays agresseur doté d’une puissance militaire portée à son paroxysme, un pays responsable d’Auschwitz et qui finit par s’effondrer sous les coups de l’armée soviétiques et des Américains dans un crépuscule des dieux apocalyptique. Le territoire allemand ne retrouvera jamais ses frontières d’avant le début de la guerre. Désormais ce pays a un mantra : plus jamais la guerre à partir du territoire allemand.
Ce sont les Américains qui, dans les années cinquante, ont contraint les Allemands à réarmer face à la menace communiste. Un puissant mouvement pacifiste s’y opposait « Nie Wieder » (Jamais plus). A plusieurs reprises, citons le stationnement des missiles Pershing 2, la guerre en Irak à laquelle le gouvernement allemand s’est énergiquement opposé, ressurgit ce mouvement. Alors aujourd’hui l’idée d’envoyer des armes toujours plus puissantes à l’Ukraine pour combattre les Russes provoque un malaise. D’autant que les Allemands qui ne sont pas dotés de l’arme nucléaire, mais abritent les ogives américaines sur leur sol, se sentent à la fois potentiellement menacés et dépourvue du droit de décision.
Le pacifisme, vraiment?
Alors, faut-il s’en étonner, les pacifistes redonnent de la voix en Allemagne. Le plus notable est un philosophe de renommée mondiale, Jürgen Habermas, qui a publié une tribune intitulée « Plaidoyer pour des négociations » dans le quotidien Süddeutsche Zeitung. On y trouve cette déclaration : « L’amélioration de la qualité des armes que nous livrons a provoqué sa propre dynamique qui pourrait nous faire franchir plus ou moins à notre insu le seuil d’une troisième guerre mondiale ».(1) Ces mots (traduits librement par moi-même) ne sont pas anodins. Au soir de sa vie donc, à 93 ans le grand penseur, met en garde contre le danger de l’apocalypse, car cette guerre mondiale serait une guerre nucléaire. En agitant ce chiffon rouge, il touche un point extrêmement sensible de l’opinion publique allemande pour laquelle le nucléaire représente en soi une menace. Et il recommande de se consacrer plutôt à la recherche de négociations de paix.
Des négociations de paix, certes, qui y serait opposé ? Encore faut-il que les termes soient envisageables pour les deux parties : s’agit-il d’accepter que l’Ukraine perde un pan de son territoire ? La réponse à la tribune de Habermas par Daniel Cohn-Bendit et le politologue Klaus Leggewie a en tous cas été cinglante : « L’Ukraine est impensable en tant que nation amputée et État tampon neutre entre l’Est et l’Ouest ; son intégrité et son indépendance ne peuvent être garanties qu’en tant que nation de l’alliance occidentale. » (2) Et c’est justement pour éviter cela que Poutin est entré en guerre ! Il ne reste donc plus à l’Ukraine que de se battre pour éviter l’anéantissement et en parallèle, comme au temps de la résistance en 1940, dessiner les contours du futur avec, si possible, des forces d’opposition russes, estiment les signataires de cette tribune. Et nous devons l’aider.
Manifestations tendues
Néanmoins, au-delà de cette discussion intellectuelle, la rhétorique « La paix sans les armes » fait florès depuis quelque temps en Allemagne. Pour marquer le triste anniversaire d’un an de guerre en Ukraine, plusieurs manifestations pacifistes ont eu lieu dans tout le pays et notamment à la Porte de Brandenbourg à Berlin où se sont retrouvées quelques 13 000 personnes. Orchestrée par un curieux tandem un tantinet has been, une féministe de la première heure Alice Schwarzer et l’ancienne égérie du parti die Linke Sarah Wagenknecht, lequel parti s’est d’ailleurs distancé de cette opération. Sauf que désormais l’extrême-droite, putinophile comme on le sait, s’est embarquée dans ce sillage. Et que les efforts de distanciation menés semblent peu convaincants. Björn Höcke, président du parti AfD de Thüringe, l’un des tribuns néo-nazis les plus redoutables, ne s’y est pas trompé d’ailleurs, invitant à bras ouvert Sarah Wagenknecht à rejoindre son groupe et affirmant qu’elle a déjà « la bonne position ». On imagine les vagues dans le parti die Linke, positionné à la gauche du spectre politique allemand ! Dans l’ancienne capitale fédérale, Bonn, se sont également affrontés verbalement une manifestation d’Ukrainiens et un rassemblement de pacifistes dont la vedette était une théologienne controversée, Margot Kässman, ancienne présidente du Conseil des Eglises évangéliques d’Allemagne. Là aussi en arrière-plan des militants d’extrême-droite dénoncés depuis la tribune des pacifistes et par la théologienne elle-même. L’atmosphère était tendue et une police débonnaire devait régler les temps de parole des-uns et des-autres.
Lassitude et inquiétude
Certes la majorité des Allemands soutient la livraison des chars et l’accueil des réfugiés. Mais peu à peu une certaine lassitude se fait jour. Le cout exorbitant du soutien militaire, humanitaire et financier, une note qui s’élève à plus de 6 milliards d’euros sans compter l’intégration des quelques un million de réfugiés ukrainiens (dix fois plus qu’en France !) notamment en ce qui concerne le logement pose problème. L’instaIlation parfois maladroite par les communes de centres d’accueil pour les réfugiés ukrainiens, hérisse souvent les riverains. D’autant que l’inflation touche violemment une partie de la population, comme par exemple les retraités les moins fortunés. A cela s’ajoute le fait que l’école et les hôpitaux sont à la peine…Bref, tout cela pèse dans la balance. La grogne sociale se manifeste désormais par des grèves dans le secteur public. L’accueil reste dans son ensemble chaleureux mais il faut espérer qu’une forme de négociation mise en place par les Européens, Macron-Scholz et d’autres, puisse enfin se dessiner. En attendant le chancelier a raison d’agir avec prudence.
1. Aus der Perspektive eines Sieges um jeden Preis hat die Qualitätssteigerung unserer Waffenlieferungen eine Eigendynamik entwickelt, die uns mehr oder weniger unbemerkt über die Schwelle zu einem dritten Weltkrieg hinaustreiben könnte. Süddeutsche Zeitung Jürgen Habermas
2. Die Ukraine ist undenkbar als amputierte Nation und neutraler Pufferstaat zwischen Ost und West; zu garantieren ist ihre Integrität und Unabhängigkeit nur als westliche Bündnisnation.Cohn Bendit-Leggewie. Taz 19.2.2023 „Habermas unterschlägt die Risiken“
Pour etre contre la guerre et contre les armes, on n’a pas besoin d’être » de gauche » ou « de droite ». C´est ridicule.
Et les politiciens doivent maintenant se dépêcher pour avoir une solution et ne pas regarder à gauche ou à droite.
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