Le soixantième anniversaire du Traité de l’Elysée va être célèbré en grande pompe le 22 janvier prochain. En grande pompe? Une fois de plus, les divergences s’affichent, en économie, dans l’énergie ou la défense. Derrière cela des différences de mentalité mais aussi des affaires de gros sous. Avec en plus, la tension de la guerre en Ukraine. Alors commencons par le nerf de la guerre, l’argent …

C’est un réflexe pavlovien. Quand les Français parlent de « Fonds européen », les Allemands répondent : « Fonds de dettes » (Schuldenfond). En effet les emprunts sont réalisés au nom de l’Europe mais avec comme garantie la puissance allemande. Imaginons un seul instant que l’Allemagne ne fasse plus partie de l’Europe ou que son économie soit très mal en point… l’intérêt des investisseurs à acheter de l’emprunt européen serait bien moindre car plus risqué. On comprend donc que l’Allemagne, ce pays vertueux au niveau financier (67 % du BIP de dette) soit très agacé par la propension des pays endettés, la France (113%) – le cinquième pays le plus endetté de l’UE -,l’ Italie (150%), la Grèce (180%) et d’autres, à réclamer à tout bout de champ un « fonds européen ». Cela a été le cas à l’époque de la crise de 2008-2012 et la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et du fonds de secours de 750 milliards d’Euros, cela a recommencé durant la pandémie du Covid. Changeant de cap, la chancelière allemande Angela Merkel, malgré les critiques dans son pays, avait finalement soutenu, au grand soulagement d’Emmanuel Macron, le fameux Plan de relance lancé en juillet 2020. Pour la première fois l’UE pouvait emprunter sur les marchés des fonds d’un montant considérable. Le plus étonnant de l’histoire, c’est que ce paquet d’aide appelé « Next Generation EU » n’a même pas été complètement utilisé, il y reste la bagatelle de 500 Milliards d’euros ! Qu’à cela ne tienne ! Paris y aurait trouvé un nouvel emploi, d’après un article du Journal économique allemand Handelsblatt du 16 janvier : le magot servirait à alimenter un troisième fonds !
Made in Europe
Emmanuel Macron veut en effet contrer le fameux plan américain de subvention à son industrie (IRA), par un plan de politique industrielle européen. Une réponse « Made in Europe ». Une bonne idée, à priori. Mais si l’on simplifie, il s’agirait au- delà des 500 milliards déjà trouvés, de subventionner l’industrie européenne grâce à un Fonds européen, c’est-à-dire de faire un nouvel emprunt européen commun. Et nous revoilà avec notre fameux fonds de dettes qui donne des boutons à nos amis allemands! C’est en tous cas ce qu’il ressortirait d’un « papier de travail » du gouvernement francais que vient de publier le quotidien économique Handelsblatt. En l’occurrence, le plan français est plutôt bien reçu en Europe et notamment à Bruxelles, car la plus grande partie des pays de l’UE n’ont pas la force de frappe financière de l’Allemagne pour soutenir leur propre industrie. Il s’en suivrait donc une grande distorsion au niveau du marché européen. Sauf que les Allemands ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Le très orthodoxe Ministre des finances libéral Lindner (FDP) s’y oppose, le chancelier Scholz n’est en principe pas un grand ami des dettes européennes, et le ministre de l’économie Robert Habeck (Grünen/Vert) n’y semble pas très favorable. Sans compter que les esprits chagrins pourraient estimer que le slogan « Made in Europe » est une élégante manière d’enterrer le « Made in Germany ».
C’est donc d’espèces sonnantes et trébuchantes que l’on va discuter lors des festivités de l’anniversaire du Traité de l’Elysée, le 22 janvier. Le chancelier Scholz et son gouvernement seront en effet reçus à l’Elysée ce jour-là. Entre la poire et le dessert, il faudra trouver un accord avant le prochain sommet européen du 9 et 10 février. Et à nouveau répondre à la lancinante question : quelle Europe voulons-nous et à quel prix ? Une fois encore, au-delà des flonflons, le tandem franco-allemand sera mis à l’épreuve.