Avec les allusions menaçantes de Poutine en février dernier sur un éventuel usage d’armes dotées de l’atome dans la guerre en Ukraine, le cauchemar d’une guerre nucléaire plane sur l’Europe. Pour l’Allemagne qui s’est longtemps rêvée comme une grande Suisse, le choc est énorme. Alors en un temps record, elle réarme, met sur la table 100 milliards d’Euros à cet effet. Et s’interroge sur sa vulnérabilité.

C’est dans une région tranquille qui ressemble à l’Auvergne, l’Eifel, que se trouve une partie de l’arsenal nucléaire américain au cœur de l’Europe. D’après ce que l’on sait, environ 20 ogives nucléaires de type U.S. B61 sommeilleraient dans des coffres de métal stockés dans un bunker souterrain sur la base militaire de Büschel, non loin de Trêves, près de la frontière du Luxembourg. Leur puissance ? Chacune de ces bombes porte une charge équivalente à 13 fois celle de Hiroshima. Elles font partie, bien que cela ne soit pas confirmé officiellement, de la stratégie de l’OTAN qui dispose de différents centres de stockage en Europe (Belgique, Pays-Bas etc…) dont celui de l’Allemagne. Pour le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, cette stratégie est la « garantie de la sécurité ultime » pour les membres de l’Alliance. En cas d’attaque les avions de la Bundeswehr chargeraient ces bombes.
Petit détail : rappelons que l’Eifel est une région volcanique. Dans sa partie ouest, le volcan souterrain donne des signes préoccupants de réveil – fumeroles, tremblements de terre, élévation – qui interpellent les scientifiques du monde entier. La dernière éruption date certes de 11000 ans mais d’après Corné Keemer, l’auteur d’une étude publiée dans le Geophysical Journal International, il faut s’attendre à une « activité future ». Toutefois pour l’instant rien n’indique une éruption proche. Il n’empêche, le nombre de balises d’observation a été augmenté. Une éruption serait un « scénario catastrophe », estime le chercheur.
Changement de cap
En attendant Poutine semble bien plus inquiétant que Vulcain. La Bundeswher s’est donc prononcée, avec l’aval très rapide du gouvernement, pour une commande de 35 avions de chasse F35. Très modernes, invisibles, ils seraient capables de charger les armes nucléaires américaines et remplaceraient donc les vieux Tornado « bons pour le musée » selon la formule du porte-parole de la politique de défense du groupe parlementaire du FDP, le parti libéral, qui font partie d’une coalition de gouvernement avec les Verts.
Autant dire qu’on se frotte les yeux . Car die Grünen (les Verts) s’étaient encore prononcés dans leur programme électoral pour une « Allemagne libre de toute arme nucléaire ». C’était il y a quelques mois seulement. Cela semble déjà une éternité. Et les pacifistes ? Cela fait 25 ans qu’ils manifestent contre ce site de stockage. Ils y étaient en juillet dernier encore, avec le soutien des Eglises, catholiques mais surtout protestantes, très présente dans ce mouvement. La présidente de l’Eglise protestante du Palatinat, Dorothee Wüst expliquait alors, comme le rapportait la radio du sud-ouest SWR -actuell : « Il est clair que dans beaucoup trop d’esprits, la dissuasion nucléaire est encore un instrument politique éprouvé ». Pour les pacifistes allemands, en effet, les armes nucléaires ne garantissent pas la paix. Au contraire, elles contribuent à une escalade qui amène à la catastrophe finale. La solution n’est pas de disposer de davantage d’armes nucléaires mais au contraire l’abandon de toute arme de ce type.
La fin du monde de l’après-guerre
Ce crédo a été largement partagé par une partie de la génération d’après-guerre allemande. La « guerre totale » voulue par Hitler s’est en effet finalement abattue sur les villes allemandes. Le désastre moral et l’occupation brutale d’une partie du territoire allemand par l’armée soviétique, sont des conséquences qui ont laissé des traces indélébiles dans la mémoire et les conciences allemandes et expliquent ce pacifisme. De l’autre côté de l’échiquier politique, la coalition d’Angela Merkel, les lobbys de l’industrie ont misé sur d’autres convictions : l’idée d’un monde multilatéral, où les échanges économiques et le commerce apportent le bien-être, un monde où l’on respecte la parole donnée et les traités internationaux. Mais la pratique du pouvoir par des personnages disruptifs, Donald Trump du côté américain et aujourd’hui, en version militaire agressive Vladimir Poutine, ont mis à bas, comme un château de carte, cette idéologie. Les responsables politiquent allemands reconnaissent publiquement dans les innombrables talk-shows télévisés, leur erreur d’appréciation qui les ont amenés, entre autres, à construire le pipe-line Nord Stream 2. Les commentateurs sont plus sévères et parlent de « naïveté allemande », comme dans le journal économique Handelsblatt du 15 mars dernier.
Berlin sans protection ou presque
Parallèlement à cette prise de conscience, les Allemands s’interrogent sur leur vulnérabilité. Dans un blog apprécié des milieux d’affaires ThePioneer Briefing Economy Edition, les journalistes rappellent que la rampe de lancement des missiles nucléaires russes est située à Kaliningrad, c’est à dire 530km à vol d’oiseau de Berlin. En quatre minutes et demie un engin de ce genre pourrait atteindre la capitale allemande qui n’est pas protégée par un boulier comme l’Iron Dome installé en Israël. La dissuasion est peu convaincante, car elle ne pourrait se faire qu’après décision commune avec les Américains. Il n’existe pas d’automatisme.
Comme si cela ne suffisait pas, même en ce qui concerne une attaque conventionnelle, Berlin n’est guère protégée : un radar spécial de l’OTAN est certes installé en Roumanie et en Pologne se trouve une installation de tir. Elle « contribuerait » sans aucun doute à la défense de Berlin. Mais à condition qu’il ne s’agisse que d’un seul missile à la fois. S’il devait y en avoir une pluie, ce serait impossible. La défense conventionnelle de Berlin de facto n’existe pas. Elle devrait être assurée par des missiles Patriot installés dans le nord de l’Allemagne. Mais, d’après les renseignements des journalistes du Pioneer, ils ont une efficacité peu élevée.
En quelques jours de guerre, Poutine a donc provoqué une révolution mentale en Allemagne. Dans ces temps incertains et troublés, on peut être sure d’une chose au moins : elle ne lui profitera pas.