Adieu madame le chancelier

C’est avec tambours et trompettes que la Bundeswehr a rendu un dernier hommage à la chancelière, Angela Merkel. Une cérémonie protocolaire habituelle au départ des chefs de gouvernements allemands. La passation de pouvoir avec le nouveau chancelier Olaf Scholz, aura lieu le 8 décembre. A cette date, «l’ère Merkel » prendra fin. Sans heurts, on pourrait presque dire en harmonie. Un départ qui résume assez bien une partie de la personnalité d’Angela Merkel.

– La chancelière Angela Merkel (Photo de Wolfgang van de Rydt sur Pixabay)

Les historiens nous diront ce qu’il faut retenir des 16 ans de pouvoir de la chancelière. Pour ceux qui ont suivi la carrière politique de cette jeune femme venue de l’est, on n’oubliera pas quelques moments clés. Une image en particulier, fixée sur notre rétine, qui marque le début de sa longue carrière : celle d’une femme, Angela Merkel, calme et sûre d’elle, le soir des élections du 18 septembre 2005 fixant avec froideur et un soupçon d’étonnement, le chancelier Schröder, mauvais perdant et alcoolisé qui n’accepte pas le verdict des urnes. Une séquence télévisée devenue culte en Allemagne.

En ce soir de septembre, le regard bleu de la future chancelière, semble dire clairement : ce manque de tenue, ce n’est pas ma conception de la politique. Et jusqu’à son départ, elle le prouvera. Seize années durant. Angela Merkel a toujours été maîtresse d’elle-même. Pas de dérapage, pas d’émotion visible, pas de copinage. Même lorsqu’elle est prise de tremblements incoercibles devant les caméras du monde entier. On la voit luttant de toutes ses forces pour conserver le contrôle de son corps. Mais elle ne lâche pas et se dépêche de faire savoir qu’il s’agit d’un simple problème de déshydratation. Sa conception du pouvoir, ce n’est pas la mise en scène dans les médias à la Schröder, ni l’opposition frontale comme Kohl vis à vis  de grands journaux libéraux, c’est plutôt une distance critique. Mélange de pudeur et de prudence, de tactique et d’instrumentalisation. Loin de la mise en scène « people » à la mode américaine.

Servir le pays

Pour autant la chancelière, qui ne pratique pas l’idéologie, est une fine stratège, capable de décisions inattendues : c’est le cas lorsqu’en mars 2011, après l’explosion de la centrale japonaise de Fukushima, elle décide la sortie du nucléaire de l’Allemagne. L’opinion publique de ce pays est en effet foncièrement hostile à cette énergie. Un bon coup de politique intérieure donc, un mauvais coup pour les partenaires mis devant le fait accompli. Mais sa devise est de « servir son pays » pas les voisins. Elle l’avait montré déjà un an auparavant : à l’époque  de la fameuse crise des subprimes et la faillite de la banque Lehman-Brothers, elle attendra pour donner son accord au premier plan de sauvetage de la Grèce, l’issue de l’élection régionale de Rhénanie-Westphalie, décisive pour conserver sa majorité au Bundestag. Un choix qui s’explique dans le contexte allemand mais laissera le champ libre aux spéculateurs et catapultera la dette de la Grèce vers des sommets.

Fille de pasteur

Nous l’avons dit, Angela Merkel n’est pas une adepte des grands discours, des visions historiques et des envolées lyriques à la Emmanuel Macron, par exemple. C’est une pragmatique, une analyste rigoureuse, souvent en avance, grâce à sa formation scientifique. Mais ce qui la distingue de l’habituelle classe politique, c’est sa morale, une boussole héritée de son éducation comme fille de pasteur. C’est sans doute cela qui lui  a valu une partie de la reconnaissance internationale.  Cette « boussole morale » s’est manifestée lors de l’arrivée massive de réfugiés en 2015. Contrairement à ce que l’on écrit souvent, elle n’a pas « ouvert la frontière allemande » aux réfugiés. Elle était déjà ouverte. Mais en accord avec le chancelier autrichien Werner Faymann et pour éviter une catastrophe humanitaire, elle a décidé en quelques heures de ne pas fermer la fermer. C’est pourquoi le 4 septembre 2015, le flot des 3000  personnes coincées et non enregistrées en Hongrie, ce flot surnommé la « marche de l’espoir »  a pu entrer et trouver abri en Allemagne. Au total, quelques 1,4 millions de réfugiés enregistrés jusqu’à l’été 2016. Cette décision, on le sait, a valu à la chancelière de très nombreuses critiques. Mais Angela Merkel l’a justifiée d’une phrase qui résume son éthique : « Si maintenant nous devons commencer à nous excuser d’avoir  montré un visage aimable dans une situation d’urgence, alors ce n’est pas mon pays. », phrase qu’elle prononce avec émotion  lors d’une conférence de presse avec le chancelier autrichien Werner Faymann, le 15 septembre 2015.

« Nous y arriverons » (Wir schaffen das) avait-elle promis à ses compatriotes. Elle a eu raison. L’Allemagne a absorbé le choc. Une bonne partie de ces réfugiés est aujourd’hui intégrée. Le chômage n’a pas augmenté, bien au contraire, et le pays est moins touché par les attentats que son voisin français. Mais, il faut aussi le reconnaitre, un parti d’extrême droite, l’AfD s’est installé dans le paysage politique.

Angela Merkel a dit regretter partir en pleine pandémie. Elle a pourtant bien choisi l’heure de son départ. Elle s’en va la tête haute, restant la personnalité politique préférée des Allemands, quittant  le pouvoir parce qu’elle l’a choisi et non pas à cause d’une élection perdue. Seize ans de gouvernement et pas un seul scandale, pas une affaire ! Chapeau, Madame Merkel.

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