Crise sanitaire, allemagne déboussolée

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Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Taux affolants de contagion COVID, hôpitaux débordés, confinement partiel dans certains Länder, l’épidémie de Corona flambe en Allemagne. Et le pays, mal géré, entre deux gouvernements, semble avoir perdu son cap…

Image Pixabay

« L’Allemagne, ça fonctionne » : c’est la réponse que font la plupart des étrangers à la question : « pourquoi avez-vous choisi ce pays ? ».  C’est vrai, on ne vient pas en Allemagne pour le soleil, la bonne chair ou la légèreté. Non, si l’on s’y installe, c’est parce qu’il y fait bon vivre grâce à une société aux règles claires et prévisibles, sans passe-droits, aux services publics en ordre de marche, comme la santé et bien sûr pour le travail.  Il faut hélas reconnaître qu’en ce moment ce n’est plus le cas. L’Allemagne est en disfonctionnement à tel point qu’elle en vient à regarder avec envie les pays du sud, comme le Portugal, l’Espagne ou l’Italie, en général largement décriés pour leur mauvaise gestion ! C’est dire ….

Alarme dans les hôpitaux

Pour comprendre cette débâcle dans la crise sanitaire, un chiffre d’abord : 11 millions de personnes sont encore non vaccinées en Allemagne!  Le pays se trouve au moment le plus « dur » et « dramatique » de la pandémie, a déclaré le ministre de la santé encore en fonction Jens Spahn, lors de sa conférence de presse de samedi 27 novembre. Dans des régions comme la Saxe, la Thuringe, la Bavière ou le Bade-Würtemberg, les hôpitaux ont atteint la limite de leur capacité. Des transferts de malades comme on l’a connu en France, sont organisés par l’armée de l’air dans un Airbus médicalisé. Les régions les plus touchées sont celles où les taux de vaccination sont les plus bas. Alors que signifie cette résistance au vaccin dans un pays plutôt connu pour « faire corps », en particulier dans l’adversité ?

Réfractaires au vaccin

Les motivations des « Querdenker » (ceux qui pensent autrement) sont complexes : dans les Länder de l’est, anciennes terres de la RDA, l’attitude « anti-vax » (anti-vaccin) est corrélée avec l’adhésion au vote AfD (extrême-droite), particulièrement présent dans ces régions. On a pu compter une centaine de manifestations dans toute l’Allemagne, certaines très violentes. Mais il n’y a pas eu que les Länder de l’est à être anti-vaccins, il faut aussi signaler la prospère Bavière ou la région du Bade-Würtemberg, championne de l’automobile. Il a fallu un certain temps pour arriver à comprendre qui étaient ces réfractaires virulents. On sait désormais qu’une partie de ces manifestants sont infiltrés par l’extrême droite la plus virulente comme les Reichsbürger, qui sont sous observation des services de renseignement (Verfassungschutz) allemands. Mais ce n’est pas tout. Car dans l’ensemble, le mouvement est extrêmement hétérogène, c’est en tous cas ce qu’a conclu une étude menée par une équipe de l’université de Bale, sous la direction du sociologue Oliver Nachtwey. En fait ce qui unit les différents groupuscules serait, d’après les scientifiques,  plutôt une mentalité qui se construit autour de quelques grandes lignes : une défiance très forte vis-à-vis de l’état et de ses  institutions, des médias établis et des partis.  En contrepoint fleurissent les thèses anti-médecine moderne, l’idée d’un retour à la nature et une conception mystique, voire ésotérique de la vie, telle qu’on peut la trouver par exemple dans des milieux anthroposophes ou autres cercles qui se définissent comme anti-autoritaires.

Lourdeurs structurelles

Cette irruption de l’irrationalité dans la sphère publique mais aussi la violence et les expressions de haine, Angela Merkel et les membres de son gouvernement,  représentés lors d’une grande manifestation à Berlin en tenue de prisonnier,  ont troublé le débat et freiné l’action publique. Une action dont la lenteur a par ailleurs exaspéré la population dans son ensemble, pour des motifs assez semblables à ceux de la France : manque de masques, manque d’outils numériques dans les Agences de santé (Gesundheitszenter), manque de doses de vaccins, alors que la formule révolutionnaire à ARN messager a été mis au point par BioNTech (distribué par Pfizer)  une start-up allemande de Mayence, sans compter plus récemment encore, à l’heure de la troisième dose, l’annonce par le ministre de la santé de ne plus importer de BioNTech ! Déclaration  rapidement revue. Mais à cela, s’est ajoutée une spécificité allemande : le fédéralisme. Certes une conférence de coordination entre l’Etat et les Länder pour lutter contre le Covid a été lancée dès le 12 mars 2020 et s’est depuis réunie 12 fois. Mais avec ébahissement, l’opinion publique a constaté qu’à peine une décision était-elle prise en commun, que dès le lendemain, un Land n’hésitait pas à produire un arrêté inverse, par exemple sur l’ouverture ou la fermeture des  écoles ou des magasins. Sans compter qu’avant même la tenue de chaque conférence, les Länder et l’Etat fédéral se disputent sur la date à laquelle elle devrait ou pourrait se tenir, c’est-à-dire sur l’urgence de la situation. Et ne parlons pas de quelques séances marathon pour ne pas aboutir ou accoucher d’une souris. Couvre-feu ou pas, si oui, à quelle heure etc…Une cacophonie illisible, qui ajoutée au lockdown (confinement)  a mis les nerfs des Allemands à vif, mais a surtout décrédibilisé l’action politique.  Jusqu’à la fin de son mandat, la chancelière Angela Merkel aura eu grand peine à unir les Länder autour d’une position commune.

vaccination : débats sans fin

Dans ce climat extrêmement tendu, il a été impossible au gouvernement allemand d’imposer une mesure pourtant acquise en France : la vaccination obligatoire des personnels de santé ou de soins. Quant au pass sanitaire- en Allemagne c’est la règle des 2G – vacciné avec code barre ou guéri – renforcée aujourd’hui à 3 G, c’est-à-dire, avec test supplémentaire, elle  n’a été étendue  qu’après beaucoup de discussions, ces jours-ci. Soyons honnête, la dernière vague de Covid a atteint l’Allemagne en pleine campagne électorale.  Les décisions qui font mal, ont été remises à plus tard. Résultat : l’Allemagne s’est enfoncée dans la crise sanitaire.  Et c’est seulement maintenant, alors que l’accord de coalition entre les trois partis social-démocrate (SPD), Verts (die Grünen) et Libéraux (FDP) est signé et  rendu public, alors que le chancelier Olaf Scholz doit bientôt être nommé, que le futur et actuel ministre du travail annonce que l’obligation vaccinale des personnels soignants sera introduite avant Noel. Un progrès certes, mais à la course de lenteur, c’est le virus qui gagne à tous coup.…

copyright elisabeth cadot

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