Environnement

Les Allemands sont-ils écolos?

Plus que quelques jours avant l’élection législative à l’issue de laquelle sera désignée la chancelière ou le chancelier.  Après les inondations catastrophiques subies par l’Allemagne cet été, on pourrait penser qu’un vrai virage écologique s’annonce dans ce pays. En fait il faut être plus nuancé…

Autoroute encore bloquée, lignes ferroviaires interrompues… sans même aller sur place – ce qui n’est pas recommandé et difficile – les signes de l’inondation du mois de juillet sont encore manifestes.  De Aix-la-Chapelle  à Cologne, de  Ahrweiler à Erfstadt-Blessem,  des grands villes de la Rhénanie aux bourgs de moyenne taille du sud-ouest de la Rhénanie, c’est dans ce couloir que les flots en fureur ont provoqués des ravages. Dans la région de vignobles aux couleurs dorées au sud de Bonn, les petites villes portent encore des cicatrices visibles : rues éventrées, bâtiments à moitié en ruine. Les habitations inondées sont loin d’être tirées d’affaire car les eaux qui les ont envahies sont souvent contaminées par le fuel (des chaudières) et des bactéries fécales, comme l’expliquent les spécialistes. La reconstruction est un travail de titan.

Alors certes, l’environnement est la première préoccupation des Allemands.Il a occupé une bonne partie des débats de la campagne. Pourtant la violence de cette catastrophe climatique n’a pas favorisé le parti die Grünen, d’après les sondages. Il se maintient à un score plus qu’honorable, en troisième place, mais la prétendante au poste de chancelière Annalena Baerbock  n’a pas pu rattraper son retard. Etonnant ? Pas tant que ça. D’une part, la catastrophe a été gérée par les responsables en place et la candidate n’a guère imprimé sa marque à ce moment-là. Et d’autre part ce thème figure désormais dans tous les programmes électoraux.

Dire la vérité

Mais surtout, entre les convictions et la réalité, il y a un écart sérieux. Le virage énergétique par exemple, risque de coûter très cher au citoyen allemand qui paye déjà un prix de l’électricité très élevé (32 centimes kWh en 2021). « Il faut oser le dire », réclamait d’ailleurs la chef du bureau du quotidien Süddeutsche Zeitung, Cerstin Gammelin, face aux responsables politiques de tous bords réunis dimanche 19 septembre pour la dernière émission politique de grande écoute « Anne Will », sur la première chaine de télevision publique, avant l’élection.

Non seulement la facture pourrait être salée, mais les habitudes vont devoir changer. « C’est une transformation historique qui s’annonce si nous voulons respecter l’objectif de contenir le réchauffement climatique à 1,5%  de degrés en plus » constatait l’un des ténors du parti conservateur CDU, Volker Bouffier.  Or on constate que malgré toutes les déclarations d’intention,  le changement des comportements individuels se fait attendre. Les Allemands ne semblent pas pressés de renoncer à leurs belles cylindrées : les deux tiers d’entre eux utilisent toujours la voiture pour se rendre au travail  – même lorsqu’il s’agit de petits trajets (pas plus de 10km). Et 13% seulement utilisent les transports en commun ! Quant au vélo, ce n’est guère mieux, puisque seul un citoyen allemand sur 10 fait l’effort d’enfourcher son vélo, même si l’on ne peut nier que certaines villes comme Münster sont des championnes en ce domaine. Ces chiffres surprenants viennent d’être communiqués par l’Office fédéral de la statistique. Les statisticiens constatent d’ailleurs qu’ils ne changent pas depuis 2016, malgré tous les efforts de communication en faveur de transports plus écologiques. Pire, au pays de l’automobile reine, la tendance semble même s’inverser : 48 millions d’automobiles circulaient au 1 er janvier 2021, c’est 14% de plus que 10 ans auparavant ! Et de nombreux foyers ne se contenteraient plus d’une seule voiture mais de deux ou trois, constatent les statisticiens.

Un bilan énergétique en demi-teinte

Au niveau de l’état, ce n’est guère plus brillant. Le candidat à la succession d’Angela Merkel, Armin Laschet le reconnaît lui-même : « Nous aurions dû fermer nos centrales à charbon avant même de renoncer au nucléaire.» Mais si les partis de gouvernements comme la CDU peuvent effectivement arguer d’une diminution des émissions de CO2 de près de 40% par rapport à l’année 1990, d’après les chiffres de l’office fédéral pour l’environnement (Umweltbundesamt), cela est principalement dû à l’arrêt d’une centrale à charbon. Pour l’année 2020, la ministre de l’environnement Svenja Schulze se félicite certes d’une diminution de 8% des émissions de CO2, mais le Président de l’Office Fédéral pour l’environnement Dirk Messner constate  sans fioritures : « Sans le confinement qui a fait baisser d’un tiers les émissions dans le domaine de l’industrie et des transports, l’Allemagne n’aurait pas atteint ses objectifs de réduction. » La neutralité carbone est prévue pour 2045, d’après la loi sur le climat du 12.05.2021 (Bundes-Klimaschutzgesetz-KSG), une loi qui accélère la transition énergétique après avoir été taclée par le tribunal constitutionnel. Mais la réalité parle un autre langage : le charbon et le gaz ont connu une renaissance cette année, plus de 4%, d’après le Groupe de travail des Bilans Energétiques (Arbeitsgemeinschaft Energiebilanzen). En cause, le redémarrage de l’économie après le confinement et un hiver relativement froid. La faiblesse du vent n’a pas permis de basculer la consommation sur les éoliennes.

Photo by Andreas Gücklhorn on Unsplash

Alors pour accélérer le changement, tous les partis misent sur un accroissement des énergies renouvelables, notamment le solaire moins cher et moins compliqué à installer à grande échelle que l’éolien. Divers leviers doivent être mis en place pour y parvenir – en particulier une accelération des procédures – mais il s’agit de promesses de campagne. Reste encore à voir leur réalisation. Quoiqu’il en soit, die Grünen comme les autres partis ont bien l’intention d’utiliser l’instrument financier qui doit permettre ce basculement, c’est à dire l’augmentation du prix national de la tonne de CO2 actuellement fixée à 30€. Un prix beaucoup trop bas pour avoir un impact réel. Ce prix est censé monter de 55€ à 66€ d’ici 2026 en Allemagne. C’est décidemment trop lent, estime le parti écologiste die Grünen qui veut l’augmenter tout de suite à 60€. Une augmentation corrélée à des mécanismes de redistribution, comme « l’argent de l’énergie » (Energiegeld) qui serait reversé de manière égalitaire á chaque citoyen. Mais il n’est pas question pour les Verts allemands, futur parti de gouvernement, de s’enfermer dans des positions maximalistes : il faudrait fixer un chiffre de 180€ par tonne pour obtenir le basculement par ce seul mécanisme financier. Ils le constatent eux-mêmes : « cela conduirait de manière inévitable à des déséquilibres sociaux graves. » La leçon des Gilets jaunes a été entendue au-delà du Rhin…

Reste qu’au chapitre de l’énergie, l’Allemagne, très gros consommateur (13 Millions de PJ en 2018), ne pourra s’en tirer qu’avec des importations – ce qu’elle fait déjà. L’industrie chimique par exemple la plus gourmande, consomme à elle seule un tiers de l’énergie utilisée par toute l’industrie allemande ! Or l’exemple des péripéties géo-politiques du pipe-line de  gaz Nord Stream 2 en provenance  de Russie montre que l’importation d’énergie n’est pas toujours si simple qu’il y paraît. C’est sans doute une fragilité du modèle allemand.

3 réflexions au sujet de « Environnement »

  1. Un petit point dont on ne parle pas dans l article: les transports en commun dans les grandes villes en Allemagne sont catastrophiques . A mon avis c est la raison principale pour utiliser la voiture et non pas le tramway ou le bus, même pour les petites distances. Ils sont rares, lents et chers. Et le risque de s infecter pendant la pandemie est beaucoup plus grand que dans la voiture…

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  2. Ne faudrait-il pas en effet commencer par là justement: baisser le prix des transports en commun? Le contenu du portefeuille est en général une motivation plus efficace que les beaux discours!
    Merci en tous cas pour cet article riche en détails très intéressants.

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    • Le parti die Linke va d’ailleurs plus loin : il propose un plan en plusieurs étapes, commencant par la gratuité pour les jeunes jusqu’à 15 ans pour s’étendre peu à peu à l’ensemble de la population. La facture, d’après leurs études, s’élèverait à 15 à 18 milliards d’euros par an

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