Berlin sous le soleil, c’est une invitation à la balade. Je vous propose de découvrir un endroit prisé des Berlinois, le parc du triangle des chemins de fer (ou des trains)…Un nom qui ne sonne pas vraiment comme une invitation à la flânerie. Détrompez-vous. C’est justement cela, la fascination de Berlin…
Rendez-vous à la Potsdamer Platz. Une des places les plus symboliques de la transformation de la capitale allemande. Une ville qui réunit l’exploit d’évoquer des réminiscences du film Métropolis de Fritz Lang et d’y allier le charme tranquille d’une ville de province. En sortant de la ligne du métro U2 direction Pankow, la chanson culte « le train spécial pour Pankow » écrit en 1983 par le chanteur pop Udo Lindenberg à l’adresse de Erich Honecker, alors secrétaire général du PC d’Allemagne de l’est, me revient à l’oreille. Mais, Honecker est mort, et on se retrouve à la sortie de la bouche du métro face aux gratte-ciels de la Potsdamer Platz : la Tour en terre cuite de 18 étages signée Renzo Piano, le gratte-ciel de Kolhoff, 25 étages en brique et granit qui se targue d’avoir l ‘ascenseur le plus rapide d’Europe, et juste en face, en levant le nez, la tour en verre de la Deutsche Bahn, construite par Helmut Jahn. Un concentré de Shangai et Manhattan sur quelques kilomètres carrés, sorti comme un phœnix des cendres de la guerre froide. Pendant des décennies en effet, la Potsdamer Platz n’était qu’une zone morte. C’est ainsi que je l’ai connue. Aujourd’hui ces gratte-ciels froids et impressionnants devant lesquels l’humain semble tout-petit, ont poussé de terre en un défi vertigineux au passé. Est-ce un progrès ? A côté de la Chine, ce n’est pas grand chose certes, pourtant je n’aime guère cette place et la laisse aux touristes très nombreux. Une autre image s’interpose, une photo de 1890, fréquemment reproduite, nous montre une Potsdamer place à visage humain : elle est bordée par des immeubles de taille moyenne, des calèches s’y croisent à un rythme que l’on devine tranquille et la pharmacie « Bellevue » donne envie d’aller y acheter des pastilles! Les transformations de Berlin sont violentes. Je vous propose donc d’aller voir plus loin.

Prenons comme repère le petit pavillon coréen, et avançons sur la Gabriele Tergit Promenade, le long du Tilla Durieux Park. A propos, pourquoi la Corée ? C’est encore une allusion historique : quelques pans du Mur de Berlin y sont exposés. Et une plaque rappelle que l’Allemagne a été réunifiée en 1989 mais que la Corée est toujours partagée. Les touristes asiatiques, eux, semblent surtout avoir plaisir à photographier leur petite amie dans l’espace vide entre les deux pans.

Nous avons tourné le dos aux gratte-ciels de la Potsdamer Platz mais cette large Promenade est, elle aussi, bordée d’immeuble de taille impressionnante. N’oublions pas que la reconstruction de ce secteur a été financée par des sponsors privés. Et cela se voit. Au « quartier Daimler Benz » de grandes firmes françaises et internationales se sont installées dans de gigantesques immeubles de verre et d’acier. La promenade – on dirait plutôt l’allée Gabriele Tergit – est coupée de « ruelles » au nom de poète, histoire d’humaniser un peu le décor, comme « Joseph von Eichendorff Gasse » …Bref, c’est assez saisissant.

Vélos et gigantomanie. La « marque » contrastée de Berlin
A la fin de cette longue allée, nous voici sur la Reichpietscher Ufer à la hauteur de la station de métro Mendelssohn-Bartholdy-Park. En face, un petit pont enjambe le Landwehrkanal, que l’on franchit pour arriver enfin au « Parc du triangle des trains ou du chemin de fer » ( Gleisdreieck ). Ne vous laissez pas décourager par le parking et les travaux et laissez vous guider par les grosses roses (Elles font 3,40 mètres de diamètre mais n’embaument pas !) du Gleisdreieck. On arrive enfin sur les 26 hectares du parc. Tout de suite l’atmosphère change : skaters, cyclistes, étudiants, jeunes couples avec poussette , collègues de bureau, mères de famille turques pressées ou familles entières tout le monde se croise tranquillement et prend ses aises sur cette vaste étendue. A priori pourtant, rien de vraiment inspirant dans ce gigantesque terrain, planté vaguement de quelques arbres, et pourtant, et c’est bien ce qui fait la magie et l’attirance de cette ancienne ville prussienne : une atmosphère débonnaire y règne, les citadins viennent y respirer et dès qu’on y pose le pied, on est saisi par le décor. « Berlin, c’est cool »

Qui aurait pu imaginer une telle transformation pour ce lieu ? On a du mal aujourd’hui à se représenter le Berlin de l’entre deux-guerres, celui des années 20. La ville est alors la capitale industrielle du pays. « Un douzième de tout le secteur industriel allemand, avec environ 1,7 million de travailleurs, s’y concentre. Les grandes entreprises, plus de 2000, sont dominées par les géants de l’industrie électrique et des machines-outils », nous rappelle le beau numéro Berlin 1919-1933 de la revue Autrement (N°10, octobre 1991). Alors bien sur, pour transporter marchandises, employés et ouvriers, il faut des moyens de transport. Le triangle des trains, est le lieu névralgique où se croisent dans un tempo vertigineux trains et métros. Le journaliste Jospeh Roth, qui n’aimait guère Berlin, a décrit cet endroit et se laisse aller à une profession de foi étonnante (2) : « Dans ce triangle des trains, plutôt d’ailleurs un multi-angles des trains, les longues veines brillantes des rails se rassemblent, se chargent d’électricité et puisent de l’énergie pour leur long voyage vers le vaste monde : triangle des veines, multi-angle, polygone construit à partir des voies de la vie : il faut le célébrer ».
Quel lyrisme ! Pourtant, dans le Berlin de l’après-guerre, il ne reste plus grand chose de l’animation fiévreuse et décadente de la métropole. La ville a été bombardée, la capitale est coupée en deux. Et le Triangle du chemin de fer, le Gleisdreieck, s’endort dans un sommeil de la Belle au Bois dormant… Des roses, des mures et de la vigne sauvages poussent, l’endroit devient un biotope naturel. Mais dès la chute du Mur, un vieux projet d’autoroute « die Westangente » ressort des cartons, quant aux spéculateurs, ils aimeraient bien récupérer ces terrains. Il faudra toute l’énergie des habitants du quartier, notamment de Kreuzberg, pour qu’enfin en 2008, il y a tout juste dix ans donc, les travaux pour la reconversion de la plus grande et dernière friche de la capitale, démarrent.

Les bouleaux, seuls témoions de la friche ancienne. Ils sont déclarés « espace naturel »
L’ídée était d’offrir aux Berlinois un large espace de récréation, sous la forme de deux grandes pelouses de 900 mètres de long et 300 mètres de large. Toutes les installations sportives ou de jeux étant situées sur les cotés du parc. Il faut préciser que le concept de ce Central Park a été élaboré en collaboration avec le Sénat de la ville , le cabinet d’architecte et les habitants.Aujourd’hui, on peut constater que cela fonctionne. C’est un incroyable rendez-vous de récréation pour Berlinois et touristes. Et du point de vue environnemental ce parc est important pour la qualité de l’air berlinois. Alors, le passé des trains, effacé, gommé ?


Le métro qui fonce dans un immeuble, c’est tout de même rare!
Et bien non, impossible d’oublier que se trouvait ici un nœud de circulation vital : aujourd’hui encore se croisent à quatre niveaux différents le S-Bahn (sorte de RER) nord-sud en sous-sol, le Landwehrkanal (le canal Landwehr) et la rue de plain-pied, un étage au-dessus les rails des trains et au-dessus encore le pont du métro. La bande son de cet endroit est d’ailleurs berlinoise, de manière inimitable : les grondements et grincements du métro se mêlent au bruit de la construction de parkings le long du parc. Mais tout cela sur un mode minimal, sans agression pour l’oreille.

Il n’empêche, il est temps d’aller prendre un café ou un thé gingembre menthe à la Eule (la chouette), un lieu culte situé sur le côté du parc, un peu caché par un terrain de jeux pour enfants. Vous passez des petits jardin, un carré de bouleaux et dans un décor de bric et de broc, gentiment anarchiste, voilà un endroit pour savourer le temps qui passe. Un lapin court au milieu du mini terre-plein aménagé de quelques fleurs et gardées par un nain de jardin discret ! C’est une idylle alternative, tenue par deux jeunes femmes turques. Et peut-être, en quittant ce lieu au charme quasi campagnard, verrez-vous, comme moi, un ICE (TGV) glissant presque sans bruit de l’autre côté du parc, vers une gare de Berlin. Vous êtes bien au Triangle du chemin de fer !

Des petits jardins – forcément! En plein coeur de la capitale…
(1) Udo Lindenberg, silhouette dégingandée, voix éraillée s’adressait sur un ton volontairement irrespectueux « hey honey » au secrétaire général du comité central du parti communiste de la RDA Erich Honnecker…pour lui demander de venir jouer dans son pays.
(2)Je précise qu’il s’agit d’une traduction libre, tiré de l’exemplaire allemand « Joseph Roth in Berlin », édité par Michael Bienert (KiWi).
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