L’avantage des jours fériés, c’est que l’on a le temps de se préoccuper « de la vraie vie », comme dit le journal Libération. Et justement, en sirotant mon café, je lis avec délectation la chronique intitulée « la vie rêvée d’un chat allemand » de la correspondante à Berlin, Johanna Luyssen. Du coup, je me sens moins seule, car moi aussi j’ai dû montrer patte blanche pour adopter un chat…

Photo Laurence Schnitzler
C’était il y a bien longtemps. Comme beaucoup d’enfants de son âge, ma petite fille âgée de cinq ans, réclamait un animal de compagnie. Après avoir un peu tergiversé, et refusé le chien (les promenades), les souris et ou les rats, j’ai donc pris mon téléphone et appelé une SPA locale pour un chat. Le dialogue a vite tourné à l’interrogatoire. « Vous voulez adopter un chat, me dit mon interlocutrice à l’autre bout du fil, d’une voix sévère, et où habitez-vous ? ». Je lui donne mon adresse, un quartier tout à fait correct pour un chat, mais elle s’intéressait à autre chose. « Je veux savoir si vous êtes en appartement ou si le chat peut sortir », me rétorque-t-elle sur un ton sec. Je lui réponds avec assurance que je vis dans un pavillon avec un jardinet et que le chat pourra gambader et chasser les souris tout à son aise. « Et la rue, me demande-t-elle? ». Et toc, me voilà dans les cordes. Forcément il y a une rue, me dis-je en moi-même, on n’est pas en rase campagne, mais dans une ville d’un million d’habitants ! « Bien sur, il y a une rue, réponds-je sur un ton conciliant, mais elle n’est pas très fréquentée ». « Et vous travaillez ? » me demande-t-elle alors sur un ton soupçonneux . Il faut savoir qu’en Allemagne au début des années 90 une mère de famille qui travaillait, c’était plutôt mal vu, frisant le cas social. Sauf qu’en l’occurrence, il ne s’agissait pas d’adopter un enfant mais un chat abandonné !
Horreur, des enfants!
La moutarde a commencé à me monter au nez : « oui je travaille, c’est justement pour ça que j’aimerais prendre un chat comme animal de compagnie pour ma petite fille » lui ai-je rétorqué. A l’autre bout du téléphone, j’entends alors un grand cri d’horreur : « Ah, parce que vous avez des enfants ? » Je sens que j’ai presque perdu la partie. On touche là en effet aux contradictions les plus profondes de l’âme allemande : d’un côté le sentiment que les enfants ça fait du bruit, c’est sale et dans notre cas, ça ne pense qu’à martyriser les animaux et pas tout simplement à les caresser et jouer avec eux ! De l’autre, un amour et un désir de bien faire pour les enfants tels, qu’ils sont choyés et plutôt mal élevés. C’est en tous cas le sentiment de nombreux étrangers, en particulier les Français. A ce moment, exaspérée, après avoir assuré que ma petite fille était très douce, j’ai émis l’hypothèse qu’en fait « cette association censée sauver des chats, n’avait pas l’air empressée de le faire ».

Photo Laurence Schnitzler
Piquée à vif, mon interlocutrice a alors changé du tout au tout et m’a proposé – à prendre ou à laisser – deux chatons d’un seul coup, un frère et une sœur « in-sé-pa-ra-bles ». Piégée. Impossible de dire « non » devant ma petite fille. Nous sommes donc allés récupérer deux petites boules de poils, l’une noire, l’autre rayée blanc et noir. La petite fille les a baptisés « Herzchen » (petit coeur) et « Sternchen » (petite étoile). Tout le monde était content. Y compris l’association d’aide aux chats abandonnés. Sauf que « Petit Coeur » s’est révélé un macho de la pire espèce. Il flanquait à sa sœur Petite Etoile des peignées mémorables et se jetait sur elle toutes griffes dehors, quand la malheureuse avalait ses croquettes avant lui. Mais, comme dans un conte de Noël, Petit Coeur a été puni, car en vagabondant sur son vaste territoire, il s’est empoisonné. Du coup, survivante de ce duo « in-sé-pa-ra-ble », Petite Etoile s’est détendue, a pris ses aises, mangé comme elle voulait et dominé la famille, bref elle a mené une « vraie vie » de chatte et a vécu très longtemps !
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Petite Etoile, très âgée. Photo EC