Le mois de mai – et ses ponts – s’annonce, rien de mieux pour retrouver Berlin. Pour ceux qui aiment un peu marcher je vous propose d’aller à la découverte d’un coin de Wedding, ce quartier ouvrier que l’on appelait « Wedding la rouge » (Roter Wedding) dans les années 20. Cette promenade hors-les-murs – au-delà du Ringbahn de Berlin – n’a rien d’exhaustif ou de spectaculaire. Mais justement, c’est un visage de la capitale largement ignoré des touristes…

Un immeuble rouge des années 20 à Wedding. Comme un clin d’œil…
La rue Müller n’est pas belle. Elle n’en n’a pas la prétention d’ailleurs. Elle est poussiéreuse, agitée et parfois mal famée, mais on y trouve tout ce que l’on veut. C’est l’artère commerçante du quartier. Un genre d’avenue de Clichy germanique (pour les lecteurs parisiens !) C’est là que nous démarrons notre balade, en sortant du métro Seestrasse (ligne 6). Nous la prenons, sur la gauche en direction de la Kamerunerstr, la rue du Cameroun.
Et nous voilà, dans le quartier africain (Afrikanisches Viertel). Ce « quartier des colonies » (Kolonienviertel) fait l’objet de controverses car le nom des rues évoque – et veut même célébrer – la colonisation allemande. Une page sombre qui s’est terminée avec la perte pour l’Allemagne de toutes ses possessions par le Traité de Versailles de 1918. Un passé assez lointain donc.

Des diasporas africaines qui mettent en perspective le passé colonial et l’actualité
Aujourd’hui les diasporas africaines francophones et anglophones se sont installées dans ce quartier mais elles dénoncent ainsi que des associations anti-racistes et anti-coloniales des noms de rue ou de places célébrant ostensiblement les acteurs de cette époque, comme la Lüderitzstraße, la Nachtigalplatz et la Petersallee. Ces opposants ont été partiellement entendus puisqu’à partir de 2017, ces rues seront débaptisées et des noms de résistants à la colonisation vont prendre leur place (sauf en ce qui concerne Peters dont on va simplement changer le prénom). Voilà brièvement, pour la page d’histoire.
La rue du Cameroun a un charme très spécial : provincial, populaire et multi ethnique. La présence africaine est discrète mais évidente, avec par exemple au numéro 1 (actuellement dissimulé par des travaux) le bureau de Berlin-postkolonial.e.V. partagé avec AfricAvenir International. Un peu à l’oblique en face, la superette pour produits africains, Afrika Market aux étagères rouges, tenu par un francophone, de l’autre côté un petit restaurant bantou… (à ce sujet je vous recommande le reportage d’un confrère africain Mamadou Diallo, qui démarre justement dans ce restaurant)

Les Bantous sont partout…même à Berlin!
.Et comme dissonant dans cette environnement, et impossible à ignorer vu son design façon western poussiéreux, la boutique Roy Dunn’s Western Store Lucky Star , installée là depuis 30 ans et à ce titre une des plus anciennes. Si vous sentez le besoin irrépressible de traverser Berlin en attirail de cowboy, n’hésitez pas, c’est « la » bonne adresse !

Au plaisir du cowboy ou de la cowgirl berlinois (e)!
Continuons notre chemin de flâneur. Sur notre gauche un brocanteur qui semble avoir pignon sur rue et déballe son bric à brac sur le trottoir. Et presque en face, au croisement de la Lüderitzstraße justement, Fredericks, un café au décor « bobo » .

Cocktails et marshmallows chez Fredericks
On peut y lire les journaux, avachi sur des divans, la playlist est bien choisie et le patron causant. Profitez de cette ambiance détendue et – en tous cas, lors de mon passage – bon enfant, c’est la seule offre de ce genre dans le secteur et nous allons marcher…
Wedding populaire ou bobo?
Nous reprenons notre bâton de pèlerin et poursuivons dans la rue du Cameroun. Tiens, un magasin bio. Cela fait quelques années qu’il est installé là. Mais avec l’arrivée de Fredericks, cela sonne comme un début de « gentrification » sauf que pour Wedding, cette annonce ressemble à un marronnier, comme on dit dans la presse. Il y a quelques années en effet des galeries ont tenté de prendre pied : c’était un peu trop tôt, elles ont dû replier bagage par manque de clients.

Le café s’appelle « Au vieux Wedding », il est populaire et n’a pas l’intention de céder aux bobos
Aujourd’hui le prix des appartements est à la hausse (rien à voir tout de même avec Paris) et montre bien que Wedding, situé non loin du centre (Mitte) et du quartier archi-bobo de Prenzlauer Berg, est en voie de transformation. Alors je me réjouis de retrouver l’étroite boutique à journaux et ses deux ou trois tables sans prétention où se retrouve une clientèle de quartier : mémés aux cheveux frisés comme leurs caniches, mais aussi des voisins, en jogging, la clope au bec…Atmosphère populaire sans chichis. La rue du Cameroun est bordée d’imposants immeubles d’aspect rébarbatif : ne vous y trompez pas, les stucs des façades ont été démolis après guerre mais si vous regardez à travers les grands portails vous serez étonnés de la beauté des entrées.
Afrique toujours…
En avançant, on atteint la Afrikanische Strasse. – (Pour les non germanistes, « Strasse » veut dire « rue ») . On la traverse (On peut aussi la suivre mais il s’agit alors d’une autre ballade), prenez la Tangastrasse que vous suivez pendant 500 mètres environ et sur la droite s’ouvre la Senegalstrasse.

Une rue pour flâneurs qui apprécient le kitsch
Charmante petite rue dans le soleil, bordée de bungalows dans le style de l’après-guerre. Si vous aimez le kitsch allemand – ou si vous voulez juste sourire – allez-y : les nains de jardins, petits chiens en céramique et autres vous attendent.

Une certaine idée du bonheur.
Et si vous saturez, emprunter l’avenue parallèle dans le Goethe Park ! Plusieurs rues au nom exotiques croisent la Senegalstrasse : la Ugandastrasse, Dualastrasse, Sambesistrasse. Afrique toujours bien sur… certains noms de rue ont été maintenus et ajoutés dans le quartier après la perte des colonies, pour maintenir l’illusion de la grandeur perdue !!
Un parc vallonné
Et nous voilà face au très beau parc Rehberge – Volkspark Rehberge – conçu au départ comme un jardin exotique où devaient prendre place des animaux – et même… des hommes !

La maison endormie du Parc Rehberge
Dieu merci, la perte des colonies a stoppé net ce sinistre projet. Aujourd’hui, le parc est très agréable, vallonné. On peut même y découvrir une maison endormie ou engloutie… Mais plutôt que d’y entrer directement (c’est faisable bien sur mais attention à ne pas rater l’embranchement pour descendre vers le lac), nous prenons sur la gauche la Transvaalstrasse sur 500m (moyennement agréable) et aboutissons à un rond-point. C’est à ce moment-là seulement que nous entrons dans le parc et allons directement vers le lac Plötzensee.
Une idylle malgré l’histoire
Plötzensee, c’est un nom qui évoque un lieu sinistre. Celui de la prison – aujourd’hui mémorial – où quelques 3000 personnes ont été assassinées – notamment des résistants – par les nazis. Mais il ne se situe pas ici à Wedding, mais plus au sud, de l’autre côté à Charlottenburg. Continuons donc tranquillement.

Encore un peu froid pour se baigner!
Le lac de Plötzensee n’est pas très grand, un peu gris, comme la plupart des lacs berlinois, mais les habitants du quartier ont de la chance : c’est un véritable lac, datant de l’ère glaciaire. Il a une profondeur de près de 8 mètres et les poissons y batifolent gaiement. Hors saison, il a du charme. Suivez la « Promenade » sur la droite, une large allée où se croisent vélos, chiens et familles. Flâneurs et amoureux se retrouvent ici.
Piscine et Biergarten

Le bâtiment historique de la piscine de Plötzensee (tout au fond)
La Hans-Schomburgk-Promenade fait le tour du lac, – elle se transforme en sentier, admirez au passage la piscine de Plötzensee qui date de 1877 – et vous voici arrivés au « Kastaniengarten », une de ces ginguette populaires, un Biergarten où l’on peut se fournir en saucisse, salade de pommes de terre, bière, café et glaces. Les tables sous les frondaisons invitent à la détente. Une tradition qui remonte au tournant du siècle précédent…
Petits jardins à perte de vue
Quelques pas encore, et vous vous trouvez devant l’entrée de la Kolonie-Plötzensee-Wedding e.V., deux rangées de jardins ouvriers coincés entre le Hohenzollern Kanal, le cimetière et le lac.

L’alignement des jardins ouvriers de Plötzensee
Une « rue principale » sillonne entre ces jardinets de la taille d’un mouchoir de poche, très prisés et soignés avec un amour tatillon. Sous la tonnelle, Madame débouche la thermos contenant le café chaud (les Allemands sont de très gros consommateurs), Monsieur arrose les fleurettes… C’est le paradis du retraité minutieux mais aussi de familles qui y passent des week-ends sans chichis autour de joyeux pique-niques.

Dans les « petits jardins », on ne rigole pas avec l’entretien!
Nous jetons un coup d’œil à cette idylle minutieusement organisée, – mais ne poursuivons pas jusqu’au bout de la rue principale qui débouche sur un ancien quartier français récupéré par la Bundeswehr – et repartons par la Nordufer, bordée d’un côté par un paysage industriel et de l’autre par les rives du lac. Difficile de croire que l’on est à Berlin, capitale trépidante de la première économie européenne. On a plutôt l’impression de suivre le chemin de halage d’un canal endormi. En fait il s’agit du Hohenzollern Kanal. C’est très surprenant. D’autant que l’on finit par arriver à une sorte de petit port où est amarrée une péniche croulant de fleurs. Lorsque j’y passe un couple de retraités y prend le soleil, alors qu’au-dessus de leur tête file le trafic du Staatswinckler Damm, une grande rue.
On dépasse une auberge de jeunesse et nous voilà à un carrefour impressionnant, le Nordseebrücke.
Traversons rapidement la Seestrasse, elle a le charme d’une autoroute. Pas étonnant, elle est le prolongement de l’autoroute A100, celle par laquelle arrivant de l’ouest, nous entrons dans Berlin. Continuez le long de la Sylterstrasse. C’est peu intéressant mais le paysage industriel sur votre droite est impressionnant.

Et vous arrivez à l’embranchement avec la Torfstrasse. Un coin idyllique, deux cafés tranquilles, une petite place et la vue sur le canal. Quoi de mieux ?

Les Africains ont pignon sur rue

Remontez la Torfstrasse, vous retrouverez la présence africaine, les Afro shops entre des immeubles du tournant du siècle. A ce sujet je vous recommande le reportage audio « Wedding, la petite Afrique de Berlin » de ma consœur Audrey Parmentier de la Deutsche Welle. Et vous arrivez au métro Amrunerstr., la fin de notre balade.
Mais avant de vous engouffrez dans le U-Bahn (le metro),
vous pouvez aussi franchir le porche gris de la Virchow Klinik (l’hôpital Virchow) du nom du prestigieux Dr. Rudolf Ludwig Karl Virchow. La conception de cet hôpital, aujourd’hui centre de cardiologie et intégré à l’ensemble hospitalier de la Charité, se voulait très moderne : construit entre 1898 et 1906 il se présentait comme un ensemble de pavillons entourés de jardinets. Plus de 700 médecins, infirmiers et soignants pouvaient y habiter. Une vraie fourmilière ! En vous promenant dans l’allée centrale, l’Allée des châtaigniers (Kastanienallee) vous retrouverez peut-être un peu l’atmosphère de parc voulue par le Dr. Virchow. Celle qu’a sans doute connu un de ses élèves, un certain… Louis Pasteur!
copyright texte +photos elisabeth cadot
Merci chère Elisabeth pour cette fabuleuse Ballade berlinoise. j’ai eu l’impression de t’accompagner. J’ai beaucoup apprécié les informations historiques. hmmm une bonne idée pour un prochain voyage.Peut être cet été – s’il daigne arriver bien sûr !
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Très beau reportage et très descriptif aussi. Chapeau!
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