La fin de la guerre… comment faut-il l’imaginer ? La question, le monde entier se la pose en observant la trêve entre Gaza et Israël, tout le monde l’espère à propos de l’Ukraine et de la Russie, pour n’évoquer que les conflits les plus connus. En Allemagne, la fin de la deuxième guerre mondiale, avec ses énormes destructions et bouleversements, ressurgit régulièrement. Avec des photos par exemple. Comme celle de la destruction de la vieille ville de Bonn. Mais aussi avec un film, Amrum, qui va être distribué en France bientôt.

Le 18 octobre 1944, en six minutes chrono, le cœur de Bonn qui deviendra la capitale fédérale est rasé. Le journal local, General Anzeiger, publie chaque année les photos de cette ville hallucinée après le bombardement. Des photos moins connues que celles d’autres villes comme Aix-la-Chapelle et Cologne, les villes voisines qui avaient déjà à cette date subi un déluge de feu. Le 18 octobre 1944 au matin donc, 127 bombardiers Lancaster et 224 avions de chasse d’accompagnement Spitfire de la Royal Air Force font un parcours de reconnaissance au-dessus de la ville. Puis ils l’arrosent avec quelque 650 tonnes de munitions, de bombes, de mines et quelque 80 000 bombes incendiaires. « A 11h04 la vieille ville n’existe plus » titre l’article du journal de Bonn, General Anzeiger daté du 18 octobre 2025. Et pourtant, seuls 21 bombardiers Lancaster ont touché « le cœur de la ville dans un rayon de 900 mètres autour de la place du marché », explique l’auteur de l’article. Et cela pour une raison étonnante : à partir de 11h03 la nouvelle station radar des alliés installée près de Nancy n’a plus envoyé aucun signal. Un avion de tête sur deux ne l’a pas reçu. Néanmoins ce bombardement éclair a été suffisant pour réduire en fumée les quelque 180 000 livres de la bibliothèque universitaire et faire brûler la ville pendant 3 jours …
Un centre ville rescapé et paisible
D’autres villes ont connu le même sort, en pire, Brest, Dresde, Hambourg : des images terrifiantes, des ruines fumantes qui ne seront reconstruites qu’à grand-peine. À l’heure où les derniers témoins s’en vont, où leurs récits s’effacent et le nationalisme borné est en vogue, il n’est pas inutile de s’en souvenir. Pourtant, cette photo est porteuse d’espoir. Ils ne doivent pas être nombreux en effet les étrangers – dont j’avoue avoir fait partie – à imaginer en flânant à Bonn, sur cette place du vieux marché où passait le jeune Beethoven, la destruction totale qu’elle avait subie. Un espoir ? Oui, car ici comme dans d’autres grandes villes allemandes, les nationalités et les langues du monde entier se croisent dans une atmosphère bon enfant. Le nazisme a été évacué dans le feu et les flammes.
Au coeur d’une famille nazie
Évacué complètement ? C’est la question que pose en filigrane le film Amrum qui sera diffusé en France à partir de décembre sous le titre « Une enfance allemande » et que l’on peut déjà voir en salle en Allemagne. Sur l’île d’Amrum, dans la mer du nord, prisée par les vacanciers allemands d’aujourd’hui, la fin de la guerre s’annonce. Les bombardiers anglais rasent les champs, de longues files de réfugiés affamés venus de Poméranie ou de Silésie débarquent au milieu de la population… mais les deux auteurs du film Fatih Akin et Hark Bohm nous emmènent au cœur d’une famille nazie. En fait il ne s’agit pas d’une fiction, mais de la vie de Hark Bohm, producteur et réalisateur allemand bien connu. Ce film, il l’a demandé à son ami, le cinéaste turc allemand Fatih Akin, car à 86 ans, ses forces ne lui permettaient plus de le tourner. Le héros du film, Nanning, un petit garçon d’une douzaine d’années qui entre dans l’adolescence, c’est lui-même. Alors pourquoi s’intéresser à ce film ?
La fin de la guerre et la faim
Bien sûr, il y a la beauté de cette île du nord, mais il y a surtout la dureté, la froideur et la violence d’une époque marquée par un fascisme implacable. Le petit garçon sensible est « élevé à la dure », comme on disait autrefois, c’est-à-dire qu’il doit apprendre à chasser, tuer et dépecer les animaux. C’est la campagne et il faut survivre. Les images de Fatih Akin n’épargnent rien au spectateur. Mais surtout, Hark Bohm a voulu que ce film se fasse pour une autre raison, comme il l’a expliqué à Fatih Akin qui l’a cité dans une interview à la télévision NDR, le huit octobre dernier : « Mes parents étaient des nazis. Des nazis, Fatih. Ma mère était nazie. Mais je l’ai aimée parce que c’était ma mère. Mon père a été arrêté devant mes yeux par les Anglais à Amrum ». Son père était en effet un dignitaire SS. En réalité, dans ce film, seuls les enfants gardent et respectent les valeurs humaines. Les adultes eux, pratiquent la délation, comme la propre mère de Nanning qui n’hésite pas à dénoncer une voisine ayant osé dire que « la guerre était finie » – ce qui valait la peine de mort – des adultes, comme le charcutier, qui une fois la guerre finie, alors que dans toute l’Allemagne on a faim, qui refuse de partager le moindre bout de nourriture avec la mère de Nanning, seule avec ses trois enfants. Les habitants de l’île d’Amrum parlent dialecte. Leurs enfants agressent Nanning qui vient de Hambourg et qu’ils traitent de « continental » parce qu’il s’exprime en allemand standard. Il est défendu par un camarade. Les adultes eux se moquent des réfugiés, pourtant Allemands comme eux qu’ils traitent de « polack » un mot méprisant pour désigner les Polonais !
Se battre pour la démocratie
C’est un monde où systématiquement l’autre est un étranger, un ennemi. Un thème qui touche le réalisateur Fatih Akin, lui-même né en Allemagne, de racines turques, égyptiennes et crétoises. Ce film voulu et écrit par Hark Bohm est donc une sorte de testament et d’avertissement. Comme l’ont fait d’autres Allemands de cette génération, Jürgen Trittin par exemple, longtemps figure de la gauche du Parti des Verts et dont le père Klaus Trittin ancien SS et haut responsable nazi repenti, avait emmené ses enfants au camp de concentration de Bergen-Belsen et leur avait dit : « Regardez ce qu’on a fait. Vous ne devez jamais laisser cela se reproduire. “ Le jeune Jürgen Trittin avait 15 ans. Il ne l’a jamais oublié. Son engagement politique en témoigne. Comme Gerhart Baum qui avait 12 ans pendant les bombardements de Dresde. Ancien ministre de l’Intérieur, toute sa carrière politique a été guidée par la nécessité de se battre pour la démocratie et la dignité humaine. Dans un dernier ouvrage « Besinnt Euch » (Édition Suhrkamp) (pas de traduction officielle, littéralement, Réfléchissez ou Ressaisissez-vous) paru en juin 2025 après son décès, il demande à ses compatriotes de ne pas laisser la démocratie aux mains de « ceux qui à l’extrême droite la méprisent et les milliardaires de la Tech ». Bref, ces témoins de la violence et de l’effondrement du nazisme, cette génération du « nie wieder », du jamais plus, qui sont en train de nous quitter, sont inquiets et incrédules devant la remontée de l’extrême droite et de ses thèmes. Des idéologies d’un autre siècle, contre lesquelles ils se sont battus et que l’on croyait enterrées, mais qui ressurgissent dans toute l’Europe et en particulier aux États-Unis. Ce film a certes des faiblesses, mais il est important, comme une piqure de rappel.
© EC
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« J’ai dévoré le roman ce matin. Tellement passionnant que je l’ai lu d’une traite. Super bien écrit et captivant. Il nous tient bien en haleine ! Un peu d’Agatha Christie, cela me faisait aussi penser à l’ambiance qui peut régner à saint-pierre et Miquelon lorsqu’il se passe « des affaires ». (Clarisse, originaire de Saint-Pierre et Miquelon, habite en Belgique)
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