Voyager à Cologne : entre lune et retards ferroviaires

Pour l’astronaute allemand Alexander Gerst, « Cologne est devenu le nombril de l’Europe en matière d’espace », car la ville héberge le centre d’entraînement spatial de l’agence européenne de l’espace (ESA). Désormais, on y prépare même l’installation d’une station sur la lune. Des projets sidéraux alors que sur terre personne ne semble plus maîtriser les simples trajets en train, ce qui provoque une exaspération générale.

©ESA/A Cologne les astronautes comme sur la lune

Cologne est la ville du carnaval. L’ordre devient désordre, tout ou presque y est permis : les époux peuvent se tromper sans conséquence (encore que…), le chef connu pour sa raideur peut débarquer au bureau avec un pif rouge et une perruque verte, et les femmes prennent le pouvoir contre le patriarcat en coupant symboliquement la cravate des hommes. Bien entendu la bière coule à flots, les bistrots sont pris d’assaut et la musique envoie ses décibels. À l’origine, il s’agissait de ridiculiser l’ordre prussien dans un grand éclat de rire. Les Prussiens ont disparu, mais pas le rire ou l’ironie, une volonté de ne pas se prendre au sérieux, typique de cette ville.  

Luna, une lune miniature

Alors la lune à Cologne ? Cela ressemblait beaucoup à une nouvelle farce carnavalesque. Et pourtant : on peut bel et bien marcher sur la lune à Cologne depuis le 25 septembre dernier. « Luna » – c’est son nom – n’est pas un décor d’Interstellar, mais un centre d’entraînement pour astronautes.  Le Centre d’études spatiales européen (ESA) et le Centre allemand d’aéronautique et de l´espace (DLR) y ont installé sur 1000 km carrés et pour 45 millions d’euros environ une « copie » du sol lunaire. Un hangar baigné dans un horizon noir comme le vide sidéral abrite une sorte de mini-station spatiale, un « robot lunaire ». Des astronautes s’affairent autour de falaises aux aspérités coupantes : il s’agit de tester la résistance des hommes et du matériel dans l’optique de l’installation d’une station de base sur la lune. Une étape indispensable avant tout voyage vers Mars.

Un sol en pierre volcanique

Mais pour commencer, les astronautes doivent humblement… apprendre à marcher et ce n’est pas une sinécure. Le sol lunaire est en effet tout sauf sympathique : constitué d’une poussière collante et de particules acérées, il ne doit pas être inhalé, ni s’introduire dans les combinaisons des astronautes. Il n’y a pas d’atmosphère, donc pas de vent ou d’érosion.  Les traces s’y impriment pour l’éternité. À Cologne on a répandu un matériau à base de pierre volcanique, qui provient des montagnes Siebengebirge et ressemble autant que possible au régolithe lunaire que trouveront les astronautes sur notre satellite naturel et rocheux. Et pour simuler l’apesanteur, les astronautes sont suspendus à des fils ! Visiblement Elon Musk s’en est inspiré lors de sa récente prestation avec Donald Trump en arborant un tee-shirt sur lequel s’étalait « Occupy Mars » et en procédant à des sauts de cabri sur l’estrade !

Récits horrifiques sur terre

Seulement voilà, les astronautes de Luna, comme tout le monde, une fois leur journée de travail achevée, ont envie d’atterrir et de rentrer chez eux. En l’occurrence à Cologne ou dans ses environs. Et là, l’affaire se corse. Pas un dîner d’amis ou une rencontre devant la machine à café sans récits horrifiques (Horrorgeschichte) de trajets en train, voire en tram. Au pays de la ponctualité et de l’ordre le retard des trains, les régionaux, les trains de banlieue ou les ICE (les TGV allemands) est devenu la règle. Il devient de plus en plus difficile de tenir ses rendez-vous. En moyenne 10 minutes de retard, mais bien souvent plutôt 20 à 40 minutes, et il faut s’estimer heureux que le train ne s’arrête pas complètement ou qu’il soit purement et simplement supprimé. Le magazine de référence Die Zeit faisait la une de son édition du deux octobre dernier avec ce titre incendiaire : Deutsche Bahn, la défaillance de l’état. La Cour des comptes allemande elle-même, comme le rapporte le quotidien économique Handelsblatt, estime que l’Etat (der Bund) ne défend pas assez ses intérêts vis-à-vis de la Deutsche Bahn. Un rappel à l’ordre en direction du ministre des transports d’obédience libérale.

Voyager en train : une issue incertaine

Un journaliste du magazine die Zeit a fait une expérience banale : un trajet en train entre Lübeck et Hambourg, soit 68 km d’une durée prévue de 40 minutes. Une ligne régionale. Tout se déroule bien jusqu’à quelques stations avant la gare d’arrivée de Hambourg, écrit-il, mais là, manque de chance, retentit l’annonce que nous avons tous vécue : « Chers voyageurs, un train se trouve devant nous sur la voie. Nous espérons poursuivre notre trajet dans quelques minutes ». Le journaliste note que les « quelques minutes » ont gonflé à 20 minutes. Sur cette ligne régionale, qui dessert tout de même Hambourg, l’une des plus grandes villes d’Allemagne, un train sur dix ne respecte pas les horaires prévus. Tout trajet avec correspondance devient scabreux. Une situation désormais banale dans tout le pays. La dégradation est plus marquée encore dans le Land de Rhénanie-Westphalie, une région aussi peuplée que les Pays-Bas. L’ancienne capitale fédérale Bonn, avec ses nombreuses firmes et institutions internationales tributaires des moyens de transport, y est particulièrement touchée. Difficile à imaginer : à l’heure actuelle les ICE (TGV) de la ligne Bonn-Cologne-Berlin ne roulent plus. Quant aux trains régionaux qui relient Bonn et Cologne, ils sont victimes de pannes et d’interruptions à répétition. Mais le pire est encore à venir : le quotidien local General Anzeiger informait récemment ses lecteurs qu’il fallait peut-être s’attendre à « un découplage supplémentaire de Bonn » en 2025. Les entreprises s’inquiètent : cette situation menace l’attractivité économique de la ville, mais Bonn n’est pas un cas isolé, c’est l’ensemble du pays est concerné à des degrés divers. Alors comment en est-on arrivé là ?

Les causes de l’échec

Une raison saute aux yeux : les quais noirs de monde. En effet, les mesures sociales et écologiques comme le billet à 9€ (pour une durée limitée en 2022) ou le Deutschland Ticket à 49€ ont trop bien réussi. Elles ont séduit et amené au train une clientèle qui l’ignorait jusque-là et ont ainsi provoqué l’asphyxie d’un réseau saturé et vieillissant. En urgence, il a fallu ajouter des rames, mais celles-ci circulent sur les mêmes rails qu’auparavant.  La conséquence est assez évidente : si un train s’arrête, c’est la catastrophe, tout le système se grippe comme dans un jeu de domino. À cela s’ajoute la vétusté de postes d’aiguillage. Beaucoup sont en rénovation, mais la mise à niveau est laborieuse par manque de matériel, comme les puces électroniques ou le personnel qualifié. Et les travaux mis en route provoquent eux même des ralentissements,

À l’inverse la modernisation du système le fragilise.  Il suffit d’un câble sectionné et le réseau internet est paralysé. C’est arrivé dans le nord de l’Allemagne bloquant ainsi les trains pendant trois heures. Un facteur plus humain joue également : face à l’électronique de bord qui règle la marche du train, les conducteurs se sentent soulagés, mais aussi souvent dépossédés ou dépassés. Que faire lorsqu’un bug survient ou que le PC ne répond plus ? Certains souffriraient même de burn-out, d’autant qu’ils doivent faire face à l’exaspération, voire l’agressivité des voyageurs.

Du mieux à Noël

En effet, qui n’a pas éprouvé un sentiment d’abandon ou d’impuissance, voire de colère, devant des panneaux électroniques affichant des retards ou des suppressions de train? Comme consolation, le ministre des transports a promis que deux semaines avant Noël, la première ligne totalement rénovée entrerait en service, promis-juré. La Deutsche Bahn est également priée de se restructurer et de sanctionner les responsables dans les secteurs où les trains sont notoirement en retard. C’est oublier un peu vite, que les malheurs de l’entreprise ont démarré avec la cure d’austérité appliquée il y a quelques années dans l’objectif d’une hypothétique entrée en bourse.

Un marasme épisodique

La société de service vantée par des responsables politiques est en tout cas aujourd’hui confrontée à la réalité. Le marasme actuel n’est sans doute qu’épisodique. La machine du progrès, elle, ne s’arrête pas : c’est bien à Cologne que des astronautes au pas lourd s’entraînent, oublieux de nos malheurs de terriens, pour un futur voyage dans les étoiles.

© EC

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