Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts sur le climat) le confirme : notre planète se réchauffe à grande vitesse. Et il faudrait vraiment s’aveugler pour ne pas en voir déjà les conséquences. Au changement climatique s’est ajouté un autre fardeau : la guerre en Ukraine. Avec comme conséquence la nécessité d’accélérer la transition énergétique. Avec quelles ressources ? Sur ce thème les opinions françaises et allemandes divergent.
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Ce n’est pas une guerre de religion, mais cela y ressemble. Une religion où l’atome serait le nouveau dieu que l’on vénère ou abhorre, qu’il faut servir ou bannir. Avec en épigraphe la phrase du célèbre philosophe français du XVIIe siècle Blaise Pascal, légèrement remaniée : « Vérité en deçà du Rhin, ereur au delà. » Pour la majorité des Allemands en effet l’industrie nucléaire est considérée comme dangereuse et non aboutie. Ses détracteurs rappellent qu’il n’y a pas de solution pour les déchets de l’atome que l’on se contente d’enfouir dans le sol pour des centaines de milliers d’années. Ce chiffre, à lui seul, donne la dimension « apocalyptique » de cette énergie, estiment-ils. Il faut donc la combattre. L’adhésion française soulève au mieux l’incompréhension au pire la condamnation. Du côté français, par contre, on dénonce avec indignation l’utilisation des énergies fossiles, comme le gaz et le charbon, par les Allemands. La fermeture, après une série de pannes, de la plus ancienne centrale Fessenheim, située tout près des frontières allemandes et suisses, apparaît aujourd’hui comme un crime de lèse-majesté. Et l’on se drape volontiers dans les bons résultats en matière de CO 2. Tout cela pourrait ressembler à une farce, malheureusement le tandem franco-allemand doit souvent se mettre d’accord au niveau européen pour faire avancer la transition énergétique.
Le poids de la guerre
On se souvient de l’épreuve de force au moment de définir la taxonomie, c’est-à-dire, la classification qui permet de désigner des activités économiques comme environnementales, entrée en vigueur en janvier 2022. Les Français ont imposé le nucléaire, les Allemands le gaz. Désormais la donne s’est encore compliquée. L’invasion de l’Ukraine par Poutine le 24 février dernier, a pris tout le monde de court, même si les signaux étaient là depuis longtemps. Ils étaient là certes, mais on regardait ailleurs, pour paraphraser le Président français Chirac. Les Allemands en particulier. Du jour au lendemain le pays a perdu son approvisionnement en gaz bon marché auprès de son fournisseur préféré, la Russie. Elle a certes réussi dans un temps record à trouver d’autres sources d’énergie, le gaz LNG des Etats-Unis ou des livraisons par le Qatar. Mais le gouvernement comptait également profiter des livraisons françaises d’électricité – faisant d’ailleurs fi au passage de ses convictions anti-nucléaires. Sauf qu’hélas, la moitié du parc nucléaire français était à l’arrêt pour réparation. Un pataquès qui a obligé le pays à ralentir son rythme de sortie de l’exploitation du charbon et a même dû, au travers du mécanisme de solidarité européenne, exporter de l’électricité vers la France. L’argument volontiers avancé par Paris de l’indépendance énergétique tombait à l’eau au plus mauvais moment !
Déni et réalité
Comble de malheur les pannes s’enchainent sur le parc nucléaire français. Et la presse allemande s’interroge sur le cocktail menaçant : réacteurs vieillissants et manque d’eau due à la sécheresse qui risque cet été de poser des problèmes. (1) Sans compter le coût effarant de la mise en service d’EPR – qui pour l’instant ne fonctionnent pas et la construction de mini réacteurs, hypothétiques eux aussi. (2) Faut-il reprendre l’expression de l’expert du nucléaire Mycle Schneider qui évoque « un déni collectif de réalité » ? En attendant l’Allemagne comprend qu’elle ne peut miser sur l’électricité française.
Le sud, Eldorado des renouvelables
Une situation d’autant plus tendue que du côté allemand, on peut aussi se poser des questions sur le principe de réalité : faut-il vraiment arrêter au mois d’avril les 3 centrales nucléaires encore en fonction ? Les renouvelables fournissent certes 50% de l’électricité et d’ici 2030 elles devraient couvrir 80% des besoins. Sauf que le réseau est très en retard et ne peut absorber, ni même transporter toute la production actuelle. L’effort de modernisation à venir est donc colossal. Et d’ici là, l’Allemagne ne peut faire tourner son énorme machine industrielle qu’en se servant de ce qu’elle a, le charbon et le gaz. Alors le gouvernement allemand et les Verts au pouvoir rêvent de l’hydrogène et tourne leurs regards vers le sud : un projet présenté par un consortium italien propose l’acheminement par pipe line de plusieurs mégatonnes d’hydrogène par an depuis l’Afrique (en particulier Tunisie et Algérie) vers la Bavière. Ce projet est soutenu par le gouvernement allemand qui négocie déjà avec des pays comme l’Algérie, la Jordanie, le Maroc, l’Egypte ou l’Arabie Saoudite, bref le nouvel Eldorado des énergies renouvelables, riches en solaire et vent et qui permettrait de fabriquer de l’hydrogène vert à couts peu élevés.
De son côté le président Macron soutenu par une dizaine de pays a réussi à négocier avec les Allemands en marge du sommet européen du 23 et 24 mars pour que le nucléaire, énergie décarbonée, bénéficie une fois pour toutes des mêmes aides que les renouvelables dans le cadre du plan « zéro émission nette » qui vient d’être adopté par la Commission. Il s’agit de de permettre aux industriels d’obtenir plus rapidement des permis pour développer des infrastructures et avoir davantage de financement. En appliquant la formule alambiquée de compromis trouvée lors du dernier conseil franco-allemand : donner au nucléaire la place réclamée par la France sans réduire l’objectif de développement des renouvelables. Avec un constat : la France très endettée a besoin d’argent mais l’Allemagne qui tient ses comptes serrés aussi ! Et l’on peut espérer que, l’heure venue, les pays du sud sauront valoriser leur position comme fournisseur d’énergie renouvelable pour en faire profiter leurs populations.
Pour aller plus loin:
(1) Der französische Totalausfall, der Spiegel Nr.12 /18.3.2023
(2) Greenspotting.de
