Journée des femmes… et les féminicides?

Une journée spécialement pour les femmes, c’est sympa. Un peu comme la fête des mères. Les cadeaux en moins. On apprend que les femmes sont en général plus mal payées que les hommes (oh, incroyable !), mais que cela va changer (lentement), qu’elles ont la double charge – travail plus enfants – (ah oui, encore ?!) et qu’elles sont moins présentes en politique… Mais cela va s’améliorer. On le répète chaque année. Mais à celles qui ne sont plus là, y pense-t-on ? En Allemagne, curieusement, à la différence de la France, de l’Espagne ou d’autres pays européens, les féminicides ne font pas les gros titres de la presse…

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Trop de femmes victimes, Pixabay

L’Allemagne n’est pas en reste en ce qui concerne les chiffres des féminicides appelés « Femizid ». Et ils sont glaçants : « Chaque jour une tentative de meurtre sur une femme est enregistrée par la police.  Et presque tous les trois jours une femme meurt sous les coups de son partenaire ou de son ex partenaier », a rappelé la ministre, de la famille, des femmes, des seniors et de la jeunesse Lisa Paus, lors de la présentation du rapport annuel de la police Criminelle allemande, le BKA. Au total, 131 femmes sont mortes sous les coups d’un homme en 2021. Et pourtant ces crimes ne sont guère évoqués par la presse, sauf dans quelques cas, et il s’agit alors souvent de la presse à sensation. Le terme de Femizid lui-même est arrivé de l’étranger, une importation qui sonne académique et lointaine. En Allemagne on dit « Frauenmorde ». Mais cela ne décrit pas l’ampleur du phénomène, son côté systémique. En fait il vaudrait mieux dire „Feminizid“, un terme plus politique qui souligne « l’inaction de l’état qui tolère cette violence», comme le précise Anne-Marie Jacob de l’association Gender Equality Media citée par le journal nd.    

Brutalité des crimes

Choquées par ce silence relatif, deux femmes journalistes, viennent de publier un livre intitulé Alle Drei Tage (Tous les trois jours) pour attirer l’attenton sur ce phénomène. Les deux autrices, Margerita Bettoni et Laura Backes, y dénoncent le fait que ces crimes sont encore souvent rangés par les médias dans la catégorie « drame relationnel » ou « tragédie familiale ». Les victimes n’ont pas de visage, de vie véritable. Elles sont parfois décrites par des éléments de leur tenue, habillée/déshabillée, la jupe relevée par exemple, qui relèvent du voyeurisme. La jalousie est souvent invoquée dans les articles de presse. Comme une sorte d’excuse pour la violence de l’agresseur. On parle alors de « tragédie de la jalousie » ou « d’acte de désespoir ». C’est ce que note l’association Gender Equality Media. Les autrices de Alle Drei Tage (Tous les trois Jours), elles, ont pris le parti de se situer du côté des victimes. Et elles livrent des interviews qui révèlent une fois de plus la brutalité crue de chacun de ces crimes racontés par celles qui ont pu survivre, un sadisme terrifiant et souvent prémédité qui se déroule parfois devant les enfants. Faudrait-il mettre ce livre dans la corbeille de mariage des femmes ? Ce serait faire injure aux hommes – dont la majorité, ouf ! – savent gérer leurs pulsions. Mais il est certain que l’éducation, dès l’école, notamment avec des jeux de rôle, doit être renforcée, les journalistes devraient être formés à traiter ces thématiques et la société dans son ensemble prendre ce problème à bras le corps. L’Allemagne dans ce domaine semble avoir du retard.

Des solutions d’aide

Pourtant des instruments de secours existent : la ligne de téléphone nationale contre les violences aux femmes ( Gewalt gegen Frauen ) est ouverte 24h sur 24 dans 18 langues et si cela est souhaité en langage des signes sur la page internet. Les centres de conseils pour femmes (Frauenberatungsstellen) installés dans chaque Land offrent une aide psycho-sociale pour les situations de crise. Et enfin, quand rien ne va plus, les maisons de femmes (Frauenhäuser) sont des refuges qui permettent aux femmes de se mettre immédiatement à l’abri, y comrpis avec leurs enfans. Il en existe plus de 350 en Allemagne, soit 6800 places disponibles. C’est bien mais insuffisant, estiment les organisations qui défendent les femmes victimes de violence. Le parlement européen estime qu’il faudrait mettre à disposition une place familiale pour 10 000 habitants. Cela signifierait pour l’Allemagne, trois fois plus !

C’est avec « Frauen » (Femmes) une version transformée du hit « Männer »(Hommes) qui l’avait rendu célèbre que le chanteur populaire Herbert Grönemeyer a salué la Journée internationale des femmes. Dans cette chanson culte de 1984 on pouvait entendre cette phrase : les hommes prennent dans leurs bras, les hommes donnent de la sécurité (« Männer nehm’n in den Arm / Männer geben Geborgenheit« ). Dans la version actuelle chantée en exclusivité à la Radio Berlin Brandenburg, elle est remplacée par : « les femmes nous donnent de la force /les femmes sont comme le vent arrière » (« Frauen machen uns stark / Frauen sind wie Rückenwind« ). Un bel hommage. Pour les victimes, il est trop tard…