Ukraine : dissensions franco-allemandes

Impossible d’y échapper, la Conférence de Munich sur la sécurité a occupé les médias allemands tout le week-end.  Alors que les discussions portaient sur les armes à envoyer à l’Ukraine, alors que la Chine présente à la Conférence a fait savoir qu’elle voulait présenter un plan de paix, le tandem franco-allemand a une fois de plus montré qu’il n’était pas vraiment sur la même longueur d’onde.

Je vous propose une nouvelle offre : l’article en audio.

Pixabay/Hubert 2T

Autrefois, c’était plus simple pour la France. De l’après-guerre jusqu’á l’époque du chancelier Kohl, les rôles étaient bien partagés : les Allemands aux affaires et Paris à la manoeuvre politique, en particulier sur l’Europe. Mais cette époque est définitivement révolue. Aujourd’hui l’Allemagne a son propre agenda politique et géostratégique, en tous cas elle essaye de le redéfinir à la lumière de la guerre en Ukraine. Et dans cette situation Berlin ne regarde plus avec préférence du côté de Paris, mais essaye de se positionner en Europe et vis-à vis des Etats-Unis. Rien que de normal, pourrait-on dire, mais la France ressent avec une certaine inquiétude ou amertume le glissement des centres de pouvoir en Europe. Vers l’est, avec une Pologne, des Pays baltes ou scandinaves viscéralement attachés à la protection américaine, vers le sud, l’Espagne, le Portugal pour l’énergie de l’avenir. Le dilemme de l’Allemagne est de savoir comment se positionner entre ces différents pôles.

La guerre en Ukraine a montré les dissensions entre Paris et Berlin en matière de défense qui se sont étalées lors de la conférence de Munich : le Président Macron n’a pas jugé nécessaire d’assister au discours d’ouverture du chancelier Scholz. Et de même ce dernier n’a pas assisté á celui d’Emmanuel Macron. Sur l’Ukraine, les points de vue étaient sensiblement les mêmes puisque le Président Macron a fait un discours très volontaire sur le soutien de la France à l’Ukraine. Le chancelier Scholz a affiché la même volonté rappelant la récente décision de livrer les fameux chars Léopards 2 mais aussi les nombreuses autres livraisons de matériel militaire.

Le « en même temps » français

Néanmoins sur ce thème comme d’autres, des contradictions entre les politiques françaises et allemandes compliquent singulièrement le dialogue. Emmanuel Macron a très longtemps – trop longtemps, on le lui a reproché – cru à la possibilité de convaincre Vladimir Poutine de l’absurdité de sa guerre. On se souvient aussi de sa formule « il ne faut pas humilier la Russie » qui avait beaucoup choqué. Certes, depuis septembre Emmanuel Macron ne téléphone plus à Poutine, semble-t-il. Et à Munich, il a durci le ton en affichant un soutien à l’Ukraine sur la durée et en dénonçant les multiples agressions russes de ces dernières années. Pourtant il a déclaré avec prudence que la Russie doit « échouer » en Ukraine mais s’est gardé d’évoquer une « défaite » de la Russie. Et il a même précisé que « toutes les options autres que Vladimir Poutine lui « paraissent pire que le système actuel ». Enfin dans son avion de retour de Munich, Emmanuel Macron a précisé « qu’aucun des deux côtés ne peut l’emporter entièrement ni l’Ukraine, ni la Russie ». Et il a ajouté « il ne faut pas écraser la Russie ». Bref, pour Berlin comme pour les pays de l’est, les « en même temps » d’Emmanuel Macron sont difficiles à suivre et peu convaincants, même s’il a été largement applaudi à Munich. D’autant que vu de Berlin, la France s’en tire à peu de frais en matière de soutien militaire à l’Ukraine.

Un chancelier prudent

De son côté, l’image que donne le chancelier Scholz n’est guère plus convaincante. Son hésitation dans la livraison des chars Leopard restera dans les mémoires. Alors que des responsables politiques allemands de renom -y compris dans sa coalition – lui réclamaient un « leadership », le chancelier s’est réfugié dans le silence. Sans explication ni à son équipe, ni à l’opinion publique. Il a finalement cédé et mis les Américains sous pression pour qu’ils acceptent de livrer eux aussi des chars. C’était cela son objectif. Le chancelier Scholz est très préoccupé de ne pas mettre l’Allemagne en première ligne dans ce conflit, en l’occurrence avec des chars allemands face à des soldats russes, ce qui pourrait évoquer de très mauvais souvenirs et entretenir la propagande du « combat contre des forces nazies » orchestrée par Vladimir Poutine et ses comparses. Mais pendant ce temps, la ministre des affaires étrangères Annalena Baerbock membre de sa propre coalition, exaspérée par ses réticences et ses lenteurs, s’était singularisée en affirmant à LCI que l’Allemagne était prête à autoriser les pays détenteurs de Léopard à les livrer. Une déclaration intempestive et sans accord préalable avec le chancelier qui l’a très mal pris.

Mauvaise communication

Il tombe sous le sens que l’on peut comprendre les hésitations, les scrupules du chancelier d’autant que des politiques, journalistes ou même un philosope comme Jürgen Habermas se font entendre pour réclamer des négociations de paix. Sauf que la position d’Olaf Scholz a été très mal communiquée – voire pas du tout. Le résultat est que les pays détenteurs de chars hésitent désormais eux aussi à les livrer. Et que c’est à l’Allemagne de les pousser ! Plus grave encore, les dissensions à l’intérieur de son gouvernement de coalition sont apparues au grand jour. Les Verts et le partenaire libéral FDP étant prêts à aider massivement et surtout rapidement l’Ukraine.

 Au niveau international le chancelier allemand a clairement montré que la politique de défense allemande ne se concevait pas sans l’allié américain. A l’opposé en tous cas du Président français qui au contraire ne cesse de mettre en garde contre ce lien qu’il estime trop fort et qui prône une défense européenne indépendante. Emmanuel Macron a même répété à Munich l’offre qu’il avait faite dès 2020, d’étendre le parapluie nucléaire français à l’Europe. Pourtant à Berlin, comme dans l’opinion publique allemande, on est sceptique. On y voit plutôt l’ambition d’une France aux accents gaulliens et dont le Président dominerait la politique européenne puisque c’est lui qui en dernier ressort « appuierait sur le bouton ». Tout en réclamant le partage des dépenses avec l’Allemagne. Sur ce point, comme sur d’autres en matière de coopération militaire franco-allemande, la réponse de Berlin est « nein, danke ». Pour l’instant…

.

Et pour aller plus loin :

L’émission Vu d’Allemagne de la radio internationale Deutsche Welle. Cette semaine au menu, les pacifistes allemands.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.