« Un Institut ouvert, pas une tour d’ivoire »

L’ouverture, c’est le maître-mot du nouveau directeur de l’Institut français de Bonn, en poste depuis septembre 2017. Jeune, sportif et fin connaisseur de l’Allemagne, Landry Charrier a un profil d’excellence, façon génération Macron. Détenteur d’une double casquette, il est aussi attaché de coopération universitaire. Je l’ai rencontré dans son bureau au 4ème étage de l’institut, un bâtiment discret situé sur la grande avenue Adenauer. Il explique pourquoi il a choisi ce poste…

J’ai eu un parcours universitaire qui m’a amené à m’intéresser au franco-allemand. Très tôt je suis parti à Düsseldorf dans le cadre d’un échange Erasmus. J’ai été le premier Docteur de l’université de Düsseldorf à avoir fait une thèse en co-tutelle (Nantes-Düsseldorf) dans le domaine des sciences humaines et sociales. Puis j’ai été élu maître de conférence à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand.

Vous êtes donc jeune professeur dans la capitale de l’Auvergne et vous décidez de partir. Qu’est ce qui vous a motivé ?

C’est l’envie de mettre l’expérience que j’avais pu acquérir en tant que responsable de la licence franco-allemande au service d’une logique beaucoup plus large englobant toute la zone de compétence qui est maintenant la mienne.

Est-ce qu’il y avait aussi le désir de retrouver l’Allemagne ?

Il y avait un fort désir de retrouver l’Allemagne qui était pour nous comme un pays de cocagne. Au niveau de la qualité de vie, par exemple, la façon dont les Allemands appréhendent et vivent leur quotidien. Ils savent séparer le travail et la vie personnelle. Une fois la journée de travail terminée, les Allemands ont la faculté de se tourner vers autre chose. Il n’y a pas de pendant français au terme « Feierabend » (à peu près, fin de journée) qui en dit beaucoup pour moi sur cette capacité bien allemande de se détendre et de profiter de la vie une fois que le travail est terminé.

Et puis il y avait cette image foncièrement positive de l’Allemagne notamment en matière d’écologie. Ce sont des choses qui nous ont poussé à faire le pas.

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Landry Charrier, directeur de l’Institut français Bonn, fondé en 1952

Quels sont les grands domaines d’action de l’Institut ?

Ayant consacré une partie de mes recherches aux relations franco-allemandes au 19eme et 20ème siècle et à l’histoire de l’idée européenne, j’ai à cœur de capitaliser cette expérience et d’orienter l’Institut de Bonn en direction de l’Europe – ce qui reflète d’ailleurs les impulsions qui sont données au plus haut niveau de l’état par le Président de la République. Notre mission en effet, – du moins telle que je la conçois -, est aussi de faire valoir la politique de la France dans le monde. La refondation de l’Europe va donc nous occuper tout au long de l’année. Cette logique est étroitement liée au centenaire de la Grande Guerre, qui peut paraître loin, qui n’est pas appréhendée de la même manière en France et en Allemagne et qui a néanmoins aujourd’hui encore des répercussions très importantes sur la façon dont la politique se joue en Europe.

Autre domaine, bien sur, l’apprentissage de la langue française. Et là, la situation n’est pas très brillante…

Il ne faut pas se voiler la face, l’apprentissage du français en Allemagne comme celui de l’allemand en France ont connu une décrue tout à fait impressionnante et inquiétante. Cette période est terminée et on est arrivé actuellement à un point de stabilisation de l’ordre de 15% en France et en Allemagne, avec une légère augmentation des apprenants de français dans notre région, la Rhénanie du Nord-Westphalie (NRW) l’année dernière. Peut être un effet du passage du Tour de France à Düsseldorf ! En tous cas, cela reste pour nous une préoccupation majeure.

Justement est-ce que vous mettez en place des méthodes d’apprentissage plus modernes, le numérique par exemple, ou bien craigniez-vous que la fréquentation des cours ne diminue?

On essaye de faire preuve de flexibilité et d’adapter notre offre – c’est notre politique ici à l’Institut – en fonction de l’évolution du monde. Un institut ne doit pas être une tour d’ivoire, une structure rigide, car elle serait condamnée à disparaître. Bien au contraire, on essaye de s’adapter par le biais de formations régulières proposées à nos enseignants en fonction de la demande et des attentes – notamment des jeunes- qui restent pour nous un public privilégié. Nous allons mettre à disposition très prochainement, à côté de l’offre de cours, la possibilité aux apprenants d’y ajouter des cours en ligne. Le programme « frantastique » qui est déjà accessible dans d’autres instituts français va être disponible ici très prochainement.

Votre deuxième casquette, c’est donc, la coopération universitaire…

En effet, j’y consacre près de 75% de mon temps, avec une zone de compétence qui s’étend de la Rhénanie du nord- Westphalie (NRW), à la Sarre, en passant par  la Rhénanie-Palatinat et la Hesse.

C’est considérable. Mais en quoi cela consiste?

J’essaye de couvrir non seulement cette zone géographique mais aussi un maximum de champs disciplinaires. A Münster la semaine dernière, j’ai réalisé une visite en deux temps : tout d’abord à la rencontre de collègues spécialisés dans la recherche sur les batteries du futur Lithium Ion, qui ont des coopérations très étroites avec la France. Et dans un deuxième temps j’ai discuté avec une vingtaine de collègues très impliqués en matière de coopération dans le domaine des sciences humaines et sociales.

L’objectif principal, c’est de mettre en place des coopérations ?

C’est aussi de faire valoir la France auprès de nos collègues allemands. Je vous donne un exemple : l’ENS (Ecole Normale Supérieure) rue d’Ulm est en train d’organiser un grand cycle de conférences consacrées à l’avenir de l’Europe avec des interlocuteurs aussi prestigieux que Thomas Piketty (économiste) ou Patrick Boucheron (Collège de France, spécialiste de l’histoire du Moyen-Age), et la volonté de diffuser ces conférences partout en Europe.

Lors de mon déplacement à Münster j’ai proposé que la conférence avec Patrick Boucheron, le 22 mai prochain, soit non seulement diffusée mais qu’en plus elle donne lieu dans la foulée à un débat sur l’avenir de l’Europe. L’idée n’est donc pas uniquement de retransmettre cette conférence – qui le sera par exemple aussi au Centre Marc Bloch de Berlin – mais de faire en sorte qu’elle soit le point de départ d’une discussion dans l’esprit des consultations citoyennes (Bürgerkonsultationen), voulues par le Président Macron et qui vont maintenant se dérouler partout en Europe.

L’Institut français de Bonn va participer à ces consultations ?

Oui, grâce à un projet labellisé « utopie Europa », qui va nous permettre d’obtenir des financements et de mettre en place, là où cela nous semble pertinent, des conventions citoyennes à l’attention du grand public mais surtout des étudiants. Pour l’instant je pense pouvoir organiser trois ou quatre conventions de ce type. A Essen par exemple – en coopération avec la représentation régionale de l’UE et la Friedrich Ebert Stiftung -, ou à Sarrebrück…

Il s’agit donc de manifestations très encadrées ?

Organisées dans la structure mais la liberté de parole est garantie. L’idée est de donner la parole aux étudiants partout en Allemagne, de recueillir les meilleurs projets et de donner ensuite aux architectes de ces projets, la possibilité de venir en discuter à l’ambassade lors d’une joute oratoire qui sera organisée fin 2018. Donc on est bien dans cette idée, les propositions doivent venir de la base dans un souci de discussion et d’ouverture.

Quelles sont vos ambitions au niveau de l’institut ou plutôt, pour être précise du centre culturel franco-allemand, car, ne l’oublions pas, cette institution fonctionne avec le soutien de l’université de Bonn

Nous avons un grand projet, celui d’un centre de coopération scientifique et universitaire franco-rhénan, basé vraisemblablement à Bonn. Ses compétences engloberaient les régions de NRW, Hesse, Rhénanie-Palatinat et Sarre. Ce projet suivi par le Consul Général, a également reçu l’aval et le soutien du Ministre Président de la région de Rhénanie du nord Westphalie. Il sera présenté aux vice-présidents (prorektoren) des universités au mois d’avril. La décision ne peut venir en effet du ministère,  elle doit venir de la base.

Quelle impulsion culturelle voulez-vous donner à votre Institut situé dans l’ancienne capitale allemande ?

Je veux affirmer l’Institut, revendiquer son identité et l’ancrer un peu plus dans le paysage bonnois et régional, bref en faire vraiment un interlocuteur privilégié pour tout ce qui concerne la relation avec la France mais aussi la francophonie qu’il ne faut pas oublier. Nous serons d’ailleurs présents pour la semaine de la francophonie. J’ai pu dire à plusieurs reprises que cet Institut n’est pas une tour d’ivoire. On peut le voir au niveau de la programmation culturelle : quasiment aucun événement n’est organisé seul, nous sommes toujours en coopération avec… pour bénéficier de l’expertise, de la compétence de nos partenaires et toucher de nouveaux publics.

Revenons à votre parcours, est-ce que vous avez trouvé l’Allemagne changée depuis l’époque de vos études ?

J‘ai été surpris par un certain nombre de choses. Cette image dont je parlais tout à l’heure, cette Allemagne comme pays de l’écologie, je dirais qu’elle s’est heurtée, notamment ici en NRW, à la réalité des transports au quotidien. On s’étonne que l’Allemagne, un pays qui se porte bien, ait une infrastructure aussi délabrée. Le retard est devenu un élément important de la vie quotidienne des Allemands, en tous cas ici. L’importance du charbon dans l’économie de la région, m’a aussi étonné. C’est vrai que pour moi c’est toujours difficile à accepter, quand je vais à Aix-la-Chapelle, de voir ces centrales à charbon (Notices d’allemagne l’a évoqué dans notre article Avenir noir pour le charbon)

Mais j’ai aussi trouvé un pays extrêmement accueillant, en particulier à l’égard de ma famille. Nous avons découvert, peut-être plus encore que par le passé, une région très ouverte, la Rhénanie. C’est vraiment une zone de contact entre les peuples. Pour quelqu’un comme moi, sensible à la diversité, c’est un lieu où je me sens particulièrement à l’aise.

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