Cela fait un moment que j’ai renoncé à suivre notre Président virevoltant dans ses déplacements à l’étranger. On le pensait en Afrique le voilà dans les Vosges au Mémorial du Hartmansweilerkopf. On le croit à Alger, il a déjà atteint le Qatar. Mais il y a un pays où il semble présent en permanence, c’est l’Allemagne. Aussi étonnant que cela puisse paraître en effet, les responsables politiques allemands en pleine crise, ne cessent d’invoquer Macron et ses propositions sur l’Europe, pour définir une ligne pour l’avenir…
Autrefois rappelait Helmut Kohl, dans une interview réalisée quelques années avant son décès, il était d’usage que le chancelier nouvellement élu aille « faire sa révérence au Président français sur l’escalier de l’Elysée » Époque diablement lointaine! On se souvient, plus récemment, de l’épisode nettement moins glorieux du Président Hollande, fraîchement élu, arrivant à Berlin « pour renégocier le pacte de stabilité européen ». Des propos martiaux qui avaient duré 24h. La chancelière s’opposant clairement à toute renégociation.

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Aujourd’hui, il ne s’agit pas de visite mais de bien autre chose. Le Président français actuel, en prononçant à la Sorbonne un discours sur l’Europe d’une grande profondeur, exposant des pistes de réflexion et d’action multiples, a proprement électrisé la classe politique et les médias allemands. Si Emmanuel Macron n’avait d’autre succès à attendre de son entreprise, il en a déjà au moins un, c’est d’avoir remis l’Europe au cœur du débat politique allemand alors qu’elle n’avait pratiquement pas été abordée durant la campagne électorale. Un paradoxe car le ténor de la gauche sociale-démocrate allemande, Martin Schulz, a fait sa carrière jusqu’à la Présidence du Parlement européen, grâce à l’Europe ! Depuis, les propositions de Macron font couler de l’encre presque quotidiennement dans la presse écrite allemande.
L’Europe de Macron
Le coup d’envoi, en quelque sorte, avait été lancé au lendemain de l’élection française, – le 13 mai – avec la publication d’un numéro du Spiegel, intitulé Teurer Freund (« cher ami »). Et la phrase d’explication : « Emmanuel Macron rettet Europa… und Deutschland soll zahlen » (« Emmanuel Macron sauve l’Europe… et l’Allemagne doit payer »). Quant aux médias télé, dont les talk-shows politiques ne cessent depuis l’élection du 24 septembre, d’analyser et de soupeser le pour ou le contre de la « coalition jamaïque », puis la faisabilité d’une Grosse Koalition (« grande coalition »), il leur est presque impossible d’éviter le moment où le nom du Président Macron est évoqué. Car l’Europe semble le point le plus consensuel de tous les partis, mis à part le parti libéral FDP qui s’est mis lui-même hors jeu en claquant la porte des négociations de gouvernement. C’est d’ailleurs sur ce thème que le candidat malheureux à la chancellerie Martin Schulz, a enfin trouvé un peu de passion, le 7 décembre, devant le Congrès du parti SPD pour lancer une vision étonnante, celle des Etats-Unis d’Europe à l’horizon 2025. Martin Schulz a-t-il voulu faire du Macron XXL ? Inutile de dire que la chancelière Merkel s’est dépêchée de mettre le holà à cette proposition.
Macron à la manoeuvre
Les mauvais résultats des élections allemandes de septembre dernier pour la CDU-CSU d’Angela Merkel et la débâcle du SPD, sont un énorme défi pour Emmanuel Macron. Alors qu’il affirmait en juillet dernier d’après les informations de notre confrère der Spiegel, ne pas vouloir s’immiscer dans la campagne électorale allemande, il a dû changer de tactique. Début novembre, dans une démarche inédite, le Président avait envoyé Bruno le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, à Berlin pour essayer de convaincre notamment Christian Lindner, chef du FDP , du charme d’un budget de la zone euro. On peut dire que la mission a été ratée puisque le soir même de l’élection Christian Lindner déclarait à la télévision qu’il s’agissait pour lui « d’une ligne rouge » à ne pas franchir. « Pas question, expliquait ce dernier à la télévision ZDF, de créer un fonds dans lequel l’Allemagne verserait 60 milliards mais où tout le monde piocherait. » Dis comme cela, effectivement, ce n’est pas très attrayant !
Le FDP s’étant mis hors jeu, Emmanuel Macron pousse désormais avec vigueur son ami du SPD Martin Schulz à former à nouveau un gouvernement de coalition. Le SPD vient de donner son accord pour s’ouvrir à des négociations avec les unions chrétiennes d’Angela Merkel. Emmanuel Macron a sans doute une bonne étoile, il n’hésite pas à s’en servir à fond. Pour autant il va, lui aussi, devoir faire des compromis et pratiquer la politique des petits pas. Le mirobolant futur budget européen doté de plusieurs centaines de milliards d’euros va sans doute rester longtemps une chimère, de même que l’idée d’un Parlement de la zone euro…Emmanuel Macron donne certes le ton, mais ce sont les citoyens et les politiques allemands qui décident de la partition.
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Précision de dernière minute :
Emmanuel Macron vient d’être nommé « Personnalité de l’année 2017 » par le journal économique Handelsblatt, sa photo occupant la première page du quotidien. Un honneur extrêmement rare pour un Français que les milieux économiques allemands regardent plutôt d’un oeil critique!
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