Entre un vélo électrique (celui de la COP23 par exemple) et un 4×4 SUV rutilant, construit par une célèbre marque allemande, rien de commun. Pourtant quelques mètres seulement les séparent le long d’un trottoir de l’ex « capitale climatique Bonn ». Quelques mètres seulement, mais un grand pas à franchir pour passer des transports carbonés aux zéro émission. Dans ce domaine l’Allemagne doit faire une véritable révolution mentale. Elle y est en partie prête…

Vélo en libre service pour la COP23/photo EC
La voiture, c’est « l’enfant chéri des Allemands » , un savoir-faire dont on est fier. Dans un sondage internet paru en juin 2017, 64 % des personnes interrogées estiment que les autos allemandes sont « nettement meilleures » ou « plutôt meilleures » que leurs concurrentes étrangères (source Civey/die Zeit). Une opinion résumée dans la formule que les Français en Allemagne entendent souvent : « Vous avez l’art de vivre, nous avons l’art de nos ingénieurs (Ingenieurkunst) ». Pourtant en quelques années cet amour pour la voiture a pâli. Et l’étoile de l’automobile allemande s’est ternie. Après le scandale du diesel, dénoncé par les autorités américaines, c’est la commission européenne qui montre les dents : les autorités de Bruxelles annoncent pour le 5 décembre le dépôt d’une plainte contre l’Allemagne pour dépassement des taux de pollution dans ses villes. Une réunion sur ce thème est convoquée d’urgence à Berlin autour de la chancelière pour le 28 novembre.
Le transport, n’a pas été vraiment sur la sellette durant la conférence sur le climat COP23 qui s’est déroulée à Bonn. Pourtant il est en Allemagne le deuxième secteur responsable des gaz à effet de serre (en France, le premier). Les chiffres sont parlants : la pollution a augmenté cette année de 3,5 %, soit 5,4 millions de tonnes de CO2. A cela s’ajoutent les émissions de particules fines et très fines émises par les diesels et qui empoisonnent les habitants, notamment – faut-il s’en étonner – dans les villes comme Stuttgart et Münich, fiefs des constructeurs automobiles. Mais d’autres villes sont atteintes. (Voir mon article précédent sur Bonn.) Bref, à ce train là, l’Allemagne risque de rater son objectif ambitieux de réduction de 40% des émissions de CO 2 en 2020 par rapport à l’année 1990. Quant à sa réputation de leader dans le domaine environnemental, elle est mise à mal. D’autant que l’épineux problème de la réduction des centrales à charbon n’est pas résolu.
Chevaux contre voiture
Alors, pourquoi dans ce pays pourtant si sensible aux questions écologiques, la prise de conscience a-t-elle pris du retard ? Une exposition au Musée de l’Histoire de l’Allemagne, (Haus der Geschichte) intitulée « aimée, utilisée, détestée …les Allemands et leurs voitures » donnent quelques pistes pour comprendre. On y apprend avec amusement que le pays n’a découvert le plaisir de l’automobile qu’avec un décalage par rapport à ses voisins. En 1914, quelques 4 millions de chevaux sillonnaient encore les routes comme au temps de Goethe contre 55 000 automobiles. En France, quelques 100 000 voitures parcouraient déjà le pays.
Le virage est pris après la deuxième guerre mondiale, à partir du milieu des années cinquante. On peut alors parler d’un véritable engouement. Le « miracle économique » s’exprime aussi dans la production automobile : en 1955, Volkswagen célèbre en grande pompe, la millionième « Coccinelle » (Käfer) sortie de ses chaînes de production. Avec l’enrichissement de cette période dorée, les Allemands relèvent la tête, et veulent découvrir de nouveaux horizons. Loin de la grisaille du nord. Loin aussi de la culpabilité et des ruines de la guerre. Qui ne se souvient des premiers touristes allemands déboulant dans leurs grosses berlines sur l’autoroute du soleil? Direction la Côte d’azur ou l’Italie…
Bolides rutilants
Mais depuis les années 80 et l’avènement du mouvement écologique, le tout-voiture est critiqué en Allemagne. Deux courants s’opposent – parfois violemment – les tenants d’une industrie qui emploie aujourd’hui quelques 800 000 personnes et produit des bolides rutilants, en particulier les énormes 4×4 SUV que le monde entier (et de préférence de nombreux dictateurs) se dispute – l’automobile représente la moitié des exportations allemandes – et les adeptes d’une reconversion écologique de ce secteur. Les difficiles négociations pour la constitution d’un gouvernement « Jamaique » ont notamment achoppé sur ce thème. Mais face à la pollution, face aux kilomètres de bouchons – 1,4 millions de kilomètres en 2016 – et à leur nombre (700 000 en 2016), sans oublier les accidents, les mentalités changent. 60% des Allemands seraient prêts à adopter des véhicules électriques mais pour l’instant ils sont freinés par le prix et le faible rayon d’action des modèles proposés.
Alors peut-on imaginer un trafic plus propre, complètement électrique par exemple dans l’état actuel des ressources en énergie? « Sans problème, me répond Jean Jouzel, climatologue de pointe et vice-président du GIEC, lors d’une discussion organisée par l’Institut français de Bonn. Il ne s’agit pas d’un problème technologique mais politique. » En réalité, pour le puissant lobby de l’industrie allemande, plus que tout autre chose, ce sont les quotas stricts d’énergie nouvelle (NEV) imposés aux constructeurs par la Chine d’ici 2019, qui ont provoqué le déclic. Volkswagen vient d’annoncer un investissement massif de 10 milliards dans ce secteur d’ici 2025. Question de survie. Pas forcément de conviction.
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